Un sapin peu ordinaire à Verrières, Aveyron

C’est l’histoire d’une rencontre fortuite sur une petite route aveyronnaise, un soir de novembre (non-non, ce n’est pas celle de David Vincent).

Les journées sont courtes à cette saison et je voulais profiter des dernières lumières avant de rentrer au chaud. Je quitte l’axe principal et emprunte les petites routes parallèles pour rejoindre Millau. Le tracé de l’A75 a en effet modifié nos habitudes de circulation dans le sud Massif-Central. Mes repères ne sont plus les mêmes lorsque je retourne en Aveyron.
Alors, quel plaisir de sillonner à nouveau ces petites routes de campagne que je connaissais comme ma poche.
Mais de toute évidence, je ne les connaissais pas si bien !
Au détour d’un virage, la silhouette d’un grand résineux au bord d’un ruisseau me saute aux yeux ! Cette grande tâche sombre au milieu du pré me fait penser à un O.V.N.I. ayant atterri accidentellement.
L’endroit est calme, je gare ma voiture devant le portail d’accès au champ.
Mais quel est cet Arbre Planté Non Identifié (A.P.N.I.) ?

sapin-espagne-verrieres08Sa position est surprenante. Il se trouve au milieu d’un champ dans une zone non habitée (la maison à côté est une grange). Je pense tout d’abord à un séquoia isolé, planté sur un grand domaine privé… mais il n’en a pas la silhouette. C’est celle d’un sapin, j’en mettrai ma main au feu !
Ma curiosité de chasseur d’arbres me pousse à sauter par-dessus les barbelés avec mon équipement de mesures (un petit sac toujours prêt contenant GPS, décamètre, vertex, APN et petit carnet).
L’endroit est désert… Je n’ai qu’une seule crainte, celle de me retrouver face à des chiens agressifs décidés à croquer du castor.
Je me hâte discrètement vers le sapin mystère. Son identité se dévoile progressivement. Cette fois, j’en suis sûr, c’est un sapin d’Espagne ! La distinction entre les différentes espèces de sapin n’est pas toujours évidente et je suis soulagé d’être face à Abies pinsapo. Une espèce tellement caractéristique qu’il est (presque) impossible de la confondre avec une autre.
En revanche, la couronne de branches basses ne me permet pas de bien distinguer ses dimensions.
sapin-espagne-verrieres06sapin-espagne-verrieres05

En le contournant, son pied se dévoile… Il est énorme ! Un véritable colosse ce pinsapo !
Je m’aperçois aussi que le propriétaire en a fait un usage particulier. Il utilise l’abri du géant pour stocker son bois de chauffage. Je reconnais bien là le bon sens paysan 😉
Mais ce tas de bois ne va pas me faciliter la prise des mesures. Je dois prendre la circonférence en jouant les équilibristes sur la pile de bois (très mal empilé soit dit en passant).
Mon décamètre affiche 5m de circonférence tout rond à 2,5m de hauteur !!!
Redescendu au sol sain et sauf, j’essaie d’extrapoler la mesure à une hauteur plus officielle. Il est difficile d’être précis et j’estime que la circonférence doit être sensiblement la même à 1,3m du sol… à plus ou moins 5 cm près. Par précaution, je retiendrai 4,95m à 1,3m du sol en novembre 2014.

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La mesure de sa hauteur se fait au dendromètre électronique vertex = 34m. Une hauteur moins exceptionnelle que sa circonférence. Mais le pinsapo n’est pas réputé pour être un géant comme le sont ses cousins d’Amérique du Nord (sapin noble et grandis).
Son état de santé semble très bon, en espérant que son épaisse écorce la protège suffisamment du tas de bois. Sa cime en revanche, a connu quelques accidents de croissance (neige, foudre ?).
Coordonnées géographiques : 44,19408°N 003,06812°E – Altitude 440 m

Le sapin d’Espagne (ou sapin d’Andalousie) fait parti de la vaste famille des sapins méditerranéens. Son aire naturelle est très réduite et se limite à quelques sierras du sud de l’Espagne et dans le Rif marocain (mais certains botanistes en font une espèce à part entière, Abies marocana). Le Pinsapo (son petit nom espagnol) a bien failli disparaitre d’Espagne suite à sa surexploitation pour son bois. Le 1er exemplaire introduit en France est issu d’un envoi de graines vers 1839 aux pépinières Vilmorin. Cette espèce a connu ensuite un succès mitigé et a surtout été plantée comme arbre d’ornement pour la beauté de ses aiguilles bleutées. Il a été utilisé également dans quelques reboisements en Méditerranée (zones de moyenne montagne) dès la fin du XIXème siècle, tout comme d’autres espèces de sapins méditerranéens.
Il n’est pas très fréquent, mais on le rencontre à l’occasion dans les parcs au sud de la Loire. Cependant, je n’avais jamais rencontré cette espèce dans un format XXL.
A voir (ici) sur Arbres monumentaux ce magnifique spécimen dans son aire naturelle près de Ronda en Andalousie… finalement, dans des dimensions similaires à celui de Verrières.

sapin-espagne-verrieres04Mais des coups de klaxon me font sursauter. Ils viennent de ma voiture que j’ai laissée devant le portail du champ…
Au pas de course, je regagne l’entrée.
Un papi, furieux de ne pas pouvoir entrer, s’agite dans tous les sens…
Je m’excuse en lui avouant la raison de mon intrusion. Je vois alors son visage s’illuminer (comme un sapin de noël).
« Ah vous êtes venu voir mon arbre ! » me lance-t-il soulagé.
Curieusement, il n’est pas surpris que je sois entré chez lui juste pour m’approcher d’un arbre. Puis, il se lance dans un long monologue. Il m’explique avec fierté que son arbre est une véritable vedette grâce à un article paru dans le journal, une notoriété qui a franchi les frontières de la commune !!! En effet, il a été enregistré par le CPIE de l’Aveyron lors d’un inventaire sur les arbres remarquables en 2010. Après vérification, j’ai bien retrouvé la trace du pinsapo de Verrières et j’ai même été soulagé de le trouver mentionné à une circonférence de 4,95m, comme je l’avais estimée sur place. D’après le papi, Le Pinsapo de Verrières est également connu des responsables du Parc régional des Grands Causses.
Et dire que je pensais bien connaitre mon département… sur le coup j’ai un peu honte…

Il reste cependant une énigme, celle de son âge.
Le papi, âgé de 70 ans, m’affirme que son grand-père l’avait toujours connu grand. Pour lui, il n’y a aucun doute sur son âge, il a entre 200 et 250 ans. Une estimation qui semble plutôt cohérente avec ces dimensions colossales. Le pinsapo n’est pas un sprinter, même en croissance libre et enraciné dans de la bonne terre agricole, il a du mettre du temps pour atteindre 5m de circonférence.  Et pourtant, cet âge n’est pas cohérent avec la date d’introduction de l’espèce en France… il y a 170 ans en 1840.
Le Pinsapo de Verrières n’aurait guère plus de 150 ans… difficile à croire !!!
Mais notre papi n’en sait pas plus sur ses origines.

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Le mystère plane toujours autours de son âge et sur l’origine de sa présence dans ce champ.
Je me laisse imaginer qu’il n’aurait pas suivi la voie officielle de diffusion de l’espèce… Peut-être qu’un petit plant a été ramené lors d’un voyage dans le Rif marocain ou en Andalousie vers 1800… bien avant l’arrivée officielle des 1ères graines chez Vilmorin dans le Loiret.
Pourquoi faut-il toujours retenir ces dates « officielles » ?


Mise à jour du 30 mars 2017 :

Pour ceux qui souhaiteraient approfondir leur connaissance sur cette espèce « peu ordinaire », je vous recommande la lecture de la fiche Abies pinsapo sur le site Tela Botanica rédigée par un botaniste passionné, Jean-Claude BOUZAT de la Société Botanique du Vaucluse (SBV).

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17 réflexions sur « Un sapin peu ordinaire à Verrières, Aveyron »

  1. Joli !!!
    Effectivement espèce assez méconnu et très appropriée pour l’ornement.
    – – –
    Je suis étonné que l’inventaire ne soit pas encore fini, car j’avais discuté en août 2009 avec un des responsables chargé de l’inventaire et ils allaient démarrer dans les mois suivants.
    Enfin, avec déjà 350 spécimens, ça fait du traitement de données !

    (p.s: toujours marrantes les anecdotes de visite, ici le vieil homme et le sapin star 😉 )

  2. Super trouvaille! Le plus gros qu’il m’ait été donné de voir fait 5.83 m et se trouve en Espagne dans un domaine royal.
    J’en ai repéré trois exemplaires intéressants en Bretagne, qui ont tous une architecture particulière, à plusieurs cimes et avec des charpentière parfois monumentales, ce qui me laisse penser que c’est inhérent à cette essence.

  3. Je suis ravi de vous l’avoir fait découvrir 🙂
    je voulais vous le présenter pour le jour de Noël (comme « sapin de Noël » remarquable 🙂 ) mais j’ai eu un petit décalage dans mon planning… mais le sujet est encore un peu d’actualité !

    Yannick, il faut absolument que tu nous présentes tes arbres espagnols !!! tu nous avais déjà parlé du plus gros séquoia européen, maintenant d’un pinsapo de presque 6m… ç’en est trop ! on veut des photos et un article !!!
    😉

  4. Joli Pinsapo breton 🙂 Un magnifique arbre à balançoire 😉
    comme tu dis, c’est une espèce qui semble perdre facilement la tête, ce qui lui donne une forme de houppier inhabituelle pour un sapin.

  5. Dans le cadre de mon activité, en tant qu’amateur botaniste, au sein de la Société Botanique du Vaucluse, je suis en train de faire quelques fiches, sans aucune prétention, sur les sapins que l’on peut rencontrer dans le Vaucluse voir ici , http://www.tela-botanica.org/page:liste_projets?id_projet=145&act=documents&id_repertoire=23932
    Je travaille actuellement sur le pinsapo et en recherchant sur le net je suis tombé sur votre article qui m’a vivement intéressé, à plusieurs titres : d’abord l’arbre lui-même, sa taille et sa forme, et les hésitations sur son âge et aussi le nom de la commune où il se trouve, qui est semblable à celui où Louis de Vilmorin a officiellement introduit l’espèce en France, Verrières les Buissons (Yvelines). De plus ayant des origines aveyronnaises par mes grands parents, j’aime bien évoquer ce département.

    Donc un grand merci pour cet article et aussi une demande, celle de pouvoir utiliser sur ma fiche deux de vos photos, la 05 (arbre à droite de la maison, qui fait bien apparaître la forme générale de l’arbre et la bifurcation du tronc) et la 01 (tronc avec personnage, que je présenterais en format carré). Si vous en étiez d’accord merci de m’adresser les photos en bonne résolution. Bien entendu l’origine des photos sera indiquée, avec un lien sur votre article.

    Merci de votre réponse.

    Bien cordialement

  6. Bonjour
    Super,merci pour tous ces précieux renseignements.je passe devant souvent en allant à l’école de verrières et je ne savais pas l’espèce.malheureusement il a perdu ses 2 têtes principales il ne reste plus que la petite 3eme qui part sur le côté en faisant un S.l’arbre est abîmé,le tronc en haut c fendu sur une bonne hauteur et il n’est plus vert en haut,que au bout des branches.je crains pour son reste de vie.mais le tronc sous les branches est toujours aussi majestueux.je l’aime cet arbre et y amène ma fille et mes neveux aujourd’hui

  7. Super,merci pour les infos.je côtoie cet arbre,en passant devant.malheureusement il a perdu la tête après un coup de vent,c’est triste de le voir tout déplumé le haut n’est plus vert et le tronc en haut est largement fendu.toujours aussi majestueux et impressionnant « dessous » par contre.
    En Aveyron il n’y a pas tant d’arbres remarquables qu’ailleurs,une chance de l’avoir LUI.
    Merci

    • une triste nouvelle d’apprendre que ce pinsapo exceptionnel ait été victime d’un accident sur la partie haute de sa cime. L’espèce est assez sensible à ce genre d’accident, d’où la silhouette souvent fourchue des pinsapos.
      En général ils s’en remettent assez bien… jusqu’à un certains points…
      Si vous avez une photo récente, vous pouvez la joindre par l’intermédiaire du formulaire de contact, cela permettrait de mettre à jour l’article.
      Merci

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