Voici un extrait de « la femme du boulanger » de Marcel Pagnol (d’après la nouvelle de Jean Giono). Deux voisins se disputent aux sujets d’arbres et de leur ombre.
Outre le côté savoureux des dialogues, je retrouve dans ces quelques lignes les éternelles divergences entre les propriétaires d’arbres et leurs voisins, ruraux ou urbains, agriculteurs ou non, que je suis amené à rencontrer dans mon travail d’élagueur.
Dans une rue du village, il y a Casimir, Barnabé et Antonin qui s’avancent en discutant.
Antonin
Mais ces trois ormes, ils ne te servent à rien ! Ils sont juste au bord de ton pré. Qu’est-ce que ça peut te faire de les tailler ? Au contraire, tu aurais du bois pour cet hiver.
Barnabé, tétu.
Ces arbres sont à moi. Je les taillerai si je veux. Tu ne vas quand même pas me forcer à couper mes arbres ! Des arbres qui sont chez moi !
Antonin
Les arbres sont chez toi, mais leur ombre est sur mon jardin ! Parfaitement ! Ils sont mal placés, tes arbres. Ils sont juste au midi de mon potager, ce qui fait que toute l’année, du matin au soir, cette ombre tombe sur mes légumes, et elle tourne comme une faux. Ils me mangent mon soleil, tes arbres. Et on n’a pas le droit de manger le soleil de personne.
Casimir
Il n’a pas tort. Ecoute, Barnabé, ce n’est pas de ta faute. Mais pour lui, tes ormeaux sont mal placés.
Barnabé
Mais c’est peut-être son jardin qui est mal placé ! Et si je me plaignais, moi ? Si je disais que j’ai des arbres magnifiques et que je ne peux pas me mettre à l’ombre de mes arbres, parce qu’elle s’échappe chez lui ? L’ombre de mes arbres est à moi, peut-être, non ?
Antonin
Oui, elle est à toi. Et puisqu’elle est à toi, je te prie de la retirer de chez moi.
Casimir
Il le dit à sa façon, mais il n’ a pas tort.
Barnabé
Tu veux peut-être que je change le soleil de place ?
Casimir
Il veut que tu tailles tes arbres. Et il me semble que c’est sont droit.
Antonin
J’ai fait des épinards géants, cette année. Et bien, mon ami, les épinards géants, je te les ferai voir. Ils ne sont pas géants du tout. Ils ne sont pas plus haut que du cresson.
Barnabé
Fais du cresson, si tu veux, moi, mes arbres, je n’y toucherai pas.
Antonin, sombre.
Bien. On ira au juge de paix. Et en attendant, je te retire la parole.
Casimir
Allez, vaï, Antonin…
Barnabé, hautain et méprisant.
Oh ! Laisse-le faire ! Si tu crois que ça me touche ! Au contraire ! C’est d’accord ! Qu’il ne me parle plus jamais ! Et si tu m’entends un jour lui adresser un mot, ou lui répondre, je te donne la permission de me cracher à la figure.(…)
Dans ce cas précis la question n’aurait plus lieu de se poser, les ormes ayant été décimés par la graphiose. D’autre part, aux épinards géants s’ajoutent aujourd’hui les piscines et les panneaux solaires qui ne tolèrent guère plus l’ombre…
bah, ils ne se parlèrent peut-être plus mais ça ne les a sûrement pas empêché de partager un pastagas à la terrasse du bistrot… ce qui aura peut-être sauvé les ormeaux !
Les arbres : que des désagréments !
Coupons-les tous, dieu reconnaîtra les siens, et on respirera bien mieux… ou plus du tout 🙁