A la découverte des arborglyphes

En voilà un mot savant ! En fait il s’agit d’un partie fort méconnue de l’archéologie : les gravures militaires sur les écorces des arbres, ou « arborglyphes ». Et la jeune femme ci-dessus, Chantel Summerfield, est la seule chercheuse à travailler sur le sujet depuis 2008.

Je vous propose de lire un article paru dans un magazine de mars 2013, qui m’a beaucoup intéressé, autant pour le fantastique travail entrepris par cette jeune doctorante que par le lien étroit qu’il tisse entre l’Histoire, les hommes et les arbres. 

Les lignes de l’article en lui-même seront sous bloc de citation, et ne pouvant avoir toutes les images originales allant avec, ce dernier sera étayé de photos trouvées sur le net. Bonne lecture !

Quand les arbres racontent la guerre

Pendant les deux derniers conflits mondiaux, des soldats ont gravé des messages sur les troncs. Un témoignage de leur vie quotidienne et de leurs sentiments.

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Franck et Helen Fearing se dit « oui » quelques heures avant que Franck, soldat américain, parte pour l’Europe. Direction le camp de Salisbury Plain, au sud de l’Angleterre, pour préparer le débarquement allié en Normandie. Loin de sa bien-aimée, le jeune marié grave dans un hêtre : « F. Fearing. Hudson Mass. US 6-4-44 », c’est-à-dire son nom, sa ville d’origine et la date, suivis du prénom « Helen » entouré d’un cœur. Quelques semaines plus tard, il foule le sable des plages normandes. Partout où il passe, il laisse ce message sur un arbre. Revenu sain et sauf, Franck coule des jours heureux auprès d’Helen, jusqu’à sa mort en 2001.

Près de dix années plus tard, sa veuve reçoit la photographie d’un tronc avec une inscription. C’est celle gravée par Franck à Salisbury Plain, six décennies auparavant. Son mari lui en avait parlé… Et elle n’y avait jamais cru !

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Ci-contre :

Cette photo ancienne est celle de l’auteur du message d’amour, l’Américain Franck Fearing, qui l’a gravé en Angleterre, en France et en Allemagne.

Des mots redécouverts par son épouse, soixante-dix ans plus tard, grâce aux travaux de Chantel Summerfield.

Des témoignages laissés aux générations futures

Arborglyphe chantel summerfield (2)Ce cliché est l’oeuvre de Chantel Summerfield. Cette doctorante britannique est la seule chercheuse à s’intéresser à un pan méconnu de l’archéologie : les gravures militaires sur les écorces d’arbres, ou « arborglyphes ». En 2008, dans le cadre d’un mémoire de fin d’études, elle commence à répertorier en Europe des centaines d’arbres portant ces cicatrices. Elles ont été laissées par les appelés venus combattre pendant les deux guerres mondiales. Elle les photographie, les cartographie, réalise des moulages… Parfois, elle reconstitue le parcours de l’auteur. « Dès que je le peux, j’utilise les registres militaires pour retrouver leurs traces, explique-t-elle. Hélas, beaucoup sont classés secret. Je dois me débrouiller autrement, en utilisant Internet et les outils de généalogie. »

Arborglyphe chantel summerfield (5)La démarche peut paraître anecdotique, elle a pourtant un intérêt historique « Ces arbres nous racontent l’histoire d’individus en temps de guerre, explique la jeune archéologue. Il s’agissait pour eux de marquer leur passage au cas où ils ne reviendraient pas du front.

Ils ont gravé ce qui leur semblait important : leurs initiales, une date, les noms de leurs proches, des dessins, des symboles religieux… »

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Une pratique courante, selon Christophe Prime, historien et membre du conseil scientifique du Mémorial de Caen. « Pendant la Première Guerre, les soldats ont pris l’habitude de graver leur nom à la pointe de la baïonnette sur des arbres, des puits, des édifices… Une façon, peut-être inconsciente, de laisser un témoignage aux générations futures. » Pour Claude Quétel, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et directeur de recherche honoraire au CNRS, ces inscriptions rappellent les pierres tombales des cimetières militaires. « La démarche est différente, mais le résultat est identique. Cela permet de mettre des noms, des âges, sur les acteurs de cette guerre.

Les arborglyphes redonnent un nom aux combattants

Habituellement, on parle des conflits mondiaux en termes de dates, de batailles, de pertes chiffrées, etc. Ici, on ré-humanise le propos. Les graffitis nous rappellent que les combattants étaient avant tout des individus, souvent jeunes, fiancés ou mariés, pères de famille. » Comme par exemple Clyde Henry Walker, un Australien qui a servi pendant les deux guerres mondiales et a été décoré. Ou encore Horace Pearce, également australien. Ce dernier a rejoint l’armée en 1915 à l’âge de 22 ans et a trouvé la mort sur le front le 5 juin 1918, alors que la guerre touchait à sa fin. Deux guerres et deux destins retracés d’après les gravures retrouvées sur le plateau de Salisbury Plain. Mais ces arborglyphes ne servent pas uniquement à retracer des histoires individuelles. Ils portent également la mémoire de faits historiques, parfois tombés dans l’oubli. Ainsi, en France, Chantel Summerfield a répertorié 1500 arbres, dont plusieurs centaines dans la forêt de Duclair, en Haute-Normandie. Là se trouvait Twenty Grand, l’un des huit immenses « camps cigarettes » qu’à comptés le territoire français.

Arborglyphe chantel summerfield (7)Qui s’en souvient ? A l’époque, pourtant, ils ne passaient pas inaperçus. « Ces camps de repos gigantesques, qui portaient tous le nom d’une marque de cigarettes et pouvaient accueillir jusqu’à 100 000 hommes, ont été créés autour du Havre par les américains, juste après l’automne 1944 », explique Claude Quétel. La ville est alors le principal port de transit des armées américaines. Les camps reçoivent les troupes qui débarquent et celles revenant du front. Plus de trois millions d’hommes y auraient séjourné. Twenty Grand est surtout réservé aux « vieux », que l’état-major a décidé de retirer du combat. Épuisés, déracinés et inactifs, les GIs trompent l’ennui en marquant les arbres à la pointe de leur couteau. « L’éloignement de leurs familles leur devenait insupportable, ils avaient besoin de se rapprocher d’elles d’une manière ou d’une autre. », souligne Nicolas Navarro, conservateur du musée Août 1944 du château du Taillis, à Duclair.

A court terme, ces trésors vivants sont menacés

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Ces graffitis constituent à l’heure actuelle un patrimoine exceptionnel, auquel sont restés attachés les anciens. « Les gens du coin ont bien connu ces camps, indique Nicolas Navarro. Ils venaient ici faire du troc avec les Américains, échangeaient des produits frais contre des cigarettes, des bonbons, du tabac… » Un luxe pour des français essorés par l’occupation et les privations. A la Libération, les camps ont même servi de refuge pour les sans-logis. Maintenant, les seuls témoins sont les inscriptions, déformées par la croissance de leur hôte. Mais à court terme, ces trésors sont en danger. « Comparés aux vestiges archéologiques qu’on trouve habituellement au cours des fouilles, les arbres ont une durée de vie très courte, confirme Chantel Summerfield. Ils sont menacés par la maladie, la vieillesse, les intempéries, les interventions humaines… »

Arborglyphe chantel summerfield (10)L’une d’elles a d’ailleurs coûté la vie, en 2008, aux plus beaux spécimens de la forêt de Duclair. Situés sur une propriété privée, en bord de route, des dizaines d’arbres ont été abattus puis transformés en pâte à papier. Aujourd’hui, la préservation des arbres qui se trouvent sur des terrains privés dépendent du bon vouloir du propriétaire. Les initiatives comme celle de Chantel Summerfield pour conserver au mieux ces « témoignages vivants » se font encore rares. Après avoir silloné la Normandie et l’Angleterre, la jeune archéologue s’est dirigée vers le Luxembourg, haut lieu de la bataille des Ardennes pendant l’hiver 1944-1945. Là, elle espère tomber sur des messages de soldats déjà rencontrés dans ses précédentes recherches.

Le but : retracer leur parcours durant la totalité du conflit.

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8 réflexions sur « A la découverte des arborglyphes »

  1. Fort sympathique cet article !

    J’aurai bien quelques arboglyphes à présenter maintenant que le terme et la discipline est officielle.

    Le hêtre en a pris cher pendant toutes ces décennies, en étant quasiment le seul arbre à écorce lisse en forêt.

    • J’ai pris contact avec Chantel et elle est impatiente que nous lui fassions part de nos découvertes éventuelles, pour l’aider dans ses recherches !
      Tes photos l’intéressent de ce fait au plus haut point, elle était ravie que je lui montre une photo que Y@nick m’a transmis ; à savoir un arborglyphe en forêt de Secondigny.
      Elle est même d’accord pour une petite interview à propos d’elle et de son métier, donc si vous avez des questions c’est le moment 🙂

    • Bien vu, en même temps l’intérêt pour ces gravures est très récent ; donc normal qu’il y ai des querelles ou des doutes quant aux termes et à la définition de cette activité. Un bien beau blog que tu nous as déniché là Mickaël 🙂

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