Le vieil homme et son arbre dans la Drôme

   – Cette silhouette m’est familière !
J’arrête ma voiture sur le bord de cette petite route de la Drôme des collines.
Tant pis pour mon rendez-vous… De toute façon, j’étais déjà en retard.
Cela ne fait aucun doute, cette silhouette je la reconnais. Elle ressemble tellement à celle du grand Févier qui poussait devant mon école. Ce Févier centenaire planté à la construction de l’école et qui faisait la fierté du Directeur (à croire qu’il l’avait planté lui-même !).
La vue de ce Févier me fait l’effet de la madeleine de Proust, une vague de souvenirs et d’émotion m’envahit.

Je m’engage alors doucement sur le chemin menant à la ferme.
Un octogénaire, alerté par cette intrusion, lève son nez et sort de son jardin…

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 » – Bonjour monsieur, c’est un magnifique févier que vous avez près du bâtiment ?
– Ah non c’est un actinidia, me répond-il sur un ton affirmatif
– Il me semble que les actinidias ce sont les kiwis plantés derrière votre jardin… Ce ne serait pas plutôt un Gleditsia ?
– Oui c’est bien ça ! Mais mon fils pourrait mieux vous en parler. »
Je suis surpris que ce papi ne connaisse cet arbre que par son nom latin !
Je suis habitué dans le sud-ouest à discuter avec les grands-pères dans un mélange de français-occitan mais de toute évidence, ceux dans la Drôme parlent latin !

Même défeuillé, ces longues gousses de légumineuse et ces grandes épines agressives ne font aucun doute sur l’identification de l’espèce. Il s’agit bien d’un Févier d’Amérique (Gleditsia triacanthos pour notre papi). En revanche, il est plus rare d’observer sur des vieux arbres, sa belle écorce grise légèrement argentée disposée en lanières.

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Gleditsia le Magnifique affiche des dimensions surprenantes et plutôt rarissimes en France.
Une circonférence à 1,3m de 3,57m en novembre 2014 et une hauteur de 25m mesurée au dendromètre électronique.
Des chiffres record pour cette espèce assez fréquente dans les parcs et jardins (souvent dans sa variété inermis… sans épines pour être moins agressive).
Mes mesures « officielles » étant réalisées, je me tourne vers notre papi pour en discuter. Mais visiblement quelque chose ne va pas, le patriarche n’est plus le même. La fierté qu’il avait eu à me présenter Son arbre a disparu. Je le vois gêné et devine de l’inquiétude.
Il m’explique qu’un instituteur était passé chez lui il y a 10 ans et devant le caractère remarquable de cet arbre lui avait proposé de le faire labéliser. Il en avait déduit qu’il en perdrait totalement le contrôle et n’en serait plus le propriétaire.
« – Ah non cet arbre, il est à moi ! Tout comme les bâtiments de cette ferme, ils sont dans notre famille depuis des générations. »
En effet, Gleditsia le Magnifique a été planté en 1870. Une date qu’il n’a aucun mal à retenir puisque c’est juste 20 ans avant la naissance de son père en 1890. En revanche, son esprit s’embrouille lorsqu’il tente de calculer l’âge de son arbre… Je l’aide discrètement à voix basse pour qu’il finisse par m’annoncer qu’il a aujourd’hui 145 ans ! Je devine à son étonnement que c’est la première fois qu’il réalise à tel point son arbre est vieux. Notre papi a retrouvé sa fierté mais il est également ému.
« – Il a vu mon père mourir et il sera encore debout lorsque je serai parti… »
Je tente alors de le rassurer en lui précisant les actions notre petit collectif de « Têtards reporters » (honnêtement je ne sais pas trop si ça l’a rassuré), que ma mission n’était pas de lui retirer son patrimoine et que je ne divulguerai pas la localisation précise de Gleditsia le Magnifique (mais il se voit tellement facilement depuis la route).

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Cet arbre est sans aucun doute remarquable non seulement pour ses dimensions exceptionnelles mais aussi par son caractère héritage familiale.
Mais le Févier d’Amérique n’a pas une longévité élevée. Gleditsia le Magnifique a presque 150 ans… ce qui est déjà très vieux pour cette espèce.
D’ailleurs, la présence d’un pourridié à son pied n’est pas de très bon augure… Réputé pour être un bois dur et peu putrescible, on peut espérer que ce févier ne s’en trouvera pas trop affecté et pourra encore faire la fierté des prochaines générations.

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Cette rencontre matinale avec Gleditsia le Magnifique m’a perturbé pour le restant de la journée. C’est décidé, il faut absolument que je retourne voir celui de mon école. Je me souviens que le Directeur nous parlait de son arbre d’Amérique avec une telle fierté… ce qui représentait bien-sûr à nos yeux de gamins un prétexte supplémentaire aux moqueries.
Je comprends aujourd’hui le message que voulait nous faire passer ce brave Directeur :  l’attachement que les hommes portent aux arbres est tout à fait légitime. Les arbres font partie de notre patrimoine et servent de trait d’union entre les générations !

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5 réflexions sur « Le vieil homme et son arbre dans la Drôme »

  1. Le papy est sacrément méfiant! J’ai souvent eu ce genre de réactions dans le monde agricole où l’arbre est un sujet sensible.
    Effectivement c’est rare un févier de ce gabarit! Je viens de jeter un oeil chez monumental tree il n’ y en que 4 plus gros recensés sur le site
    http://www.monumentaltrees.com/fr/monde-gleditsiatriacanthos/
    Dans l’inventaire breton étrangement, il n’y en a pas un seul! Pourtant il y en a parfois dans les parcs, notamment à Rennes au Thabor.

  2. Oui parmi les arbres enregistrés sur le site Arbres monumentaux, celui en Pologne sort vraiment du lot, il est au-dessus des autres. Les trois autres sont dans la même gabarit et doivent être sensiblement du même âge. Je pense, en dehors d’un jardin botanique, il doit être difficile de trouver des féviers âgés de plus de 150 ans.

    Ce que je trouve étonnant c’est de trouver cet arbre exotique planté en 1870 (!) dans la cour d’une petite ferme de la Drôme… Où a-t-il trouvé ce plant d’Amérique et quel idée le papy du papy a eu de planter cet arbre dans sa ferme, à une période où la priorité n’était pas à l’aménagement paysager mais plutôt à se nourrir.

    Il me tarde d’aller voir celui de l’école de mon enfance qui doit être à peu près du même âge… mais distant de 500 km !

  3. Quel arbre 😯 ! Je comprends qu’il veuille le garder pour lui tout seul Papy. L’écorce particulière gris bleuté que prend le févier en vieillissant est vraiment un signe distinctif. On ne peut pas se tromper.

  4. Joli.

    Toujours émouvant de rencontrer des gens attachés à leur arbre.
    J’en ai vu de beaux, mais assez rarement de belles dimensions.

    Le plus grand recensé et indigène serait dans le Michigan aux USA et ferait 35 m.

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