Une vigne séculaire dans la médina de Meknès, Maroc

 En parcourant la Médina de Meknès, j’avais raisonnablement écarté toute probabilité de rencontrer un arbre remarquable. Et j’imaginais encore moins y dénicher une incroyable vigne séculaire. Une rencontre presque surréaliste, aux limites du réel qui restera comme l’un de mes meilleurs souvenirs de la cité impériale.

Mais la présence de cette vigne dans un pays musulman est-elle vraiment si étonnante ? Finalement, nous allons voir qu’elle ne l’est pas tant que ça…
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Après une demi-heure d’errance dans ce dédale de ruelles, je suis à bout de force… fatigué de repousser le harcèlement des vendeurs et épuisé de me frayer un chemin dans la foule. Alors sans réfléchir, comme un instinct de survie, je prends la terrible décision de m’écarter du circuit touristique pour m’enfoncer dans des quartiers plus calmes, au risque de me perdre dans des zones peu fréquentables de la médina…
Enfin, je respire à nouveau normalement ! Je retrouve un peu de calme. Quel plaisir de pouvoir  marcher nonchalamment dans ce labyrinthe sans but précis. Ou peut-être simplement guidé par mon instinct de chasseur d’arbres… Qui sait ? Car au bout de quelques minutes, dans la pénombre de la médina, une lumière m’attire. Elle provient d’un riad, ces minuscules petites places typiquement marocaines aux allures de patios andalous. Des riads, il y en a probablement plusieurs dizaines dans cette médina. Et celui-ci semble bien ordinaire, avec une terrasse de café, un menuisier et quelques artisans… Sauf qu’il a une particularité incroyable, certainement unique à Meknès : un extraordinaire pied de vigne pousse au milieu de la place !
Vigne-meknes2-castorVigne-meknes4-castorCette vigne serpente sur quelques mètres de hauteur avant de s’étaler sur toute la surface du riad au niveau du premier étage. Le tronc est usé à la base, comme poli par le frottement quotidien des mains depuis des dizaines d’années. Je suis en admiration totale devant cette liane. Je tourne autours, la photographie sous tous les angles, la touche délicatement, l’observe attentivement pour essayer de comprendre son développement…Lorsque je m’aperçois que toute la vie du riad s’est arrêtée. Ma présence loin du circuit touristique ne passe pas inaperçue et une bonne dizaine de paires d’yeux sont suspendus à chacun Vigne-meknes6-castorde mes gestes. Et ce n’est pas fini… Le clou du spectacle n’est pas encore arrivé ! Je dois absolument dégainer de mon sac à dos mon fidèle mètre-ruban pour effectuer une mesure officielle. Cette fois-ci je vais vraiment passer pour un fou. Ca ne me dérange pas, j’ai l’habitude… mais je ne voudrai pas devoir  justifier de mes actes suspects devant les forces de l’ordre (tout le pays est en alerte rouge actuellement) !!! D’autant que la mesure ne s’annonce pas évidente. La liane serpente beaucoup et je ne sais pas comment positionner mon mètre. Finalement j’applique le protocole habituel en prenant une mesure à 1,3m de hauteur. En décembre 2015, la circonférence est de 0,95m.

Des dimensions assez comparables à la Treille d’Arbois présentée par Yannick et dont l’âge est de 160 ans. Mais la comparaison s’arrête là ! Il est inutile d’essayer d’extrapoler des vitesses de croissance entre une vigne poussant dans une terre jurassienne et une autre dans un bac de terre au Maroc… cette comparaison permet juste de confirmer le caractère largement séculaire de la vigne de Meknès.

Malheureusement, je n’ai pas réussi à obtenir d’informations supplémentaires sur cette vigne. Sur place, suite à ma démonstration en public de prise de circonférence, je n’ai pas voulu trainer comme je le fais habituellement pour mener mon enquête auprès des riverains. J’ai rapidement regagné la sortie de la médina (d’ailleurs qui n’a pas été évidente, mais c’est une autre histoire…).

J’espérais pouvoir trouver quelques informations plus tard sur le net, mais mes recherches n’ont abouti à rien de concret, si ce n’est que j’ai appris que la vigne et la ville de Meknès sont en fait intimement liées depuis plusieurs siècles.

Ce vieux pied de vigne au cœur de la médina n’a donc rien de surprenant, il correspond bien à l’orientation très agricole (oliviers, fruitiers, vigne) de la riche plaine du Saïs où se trouve Meknès.


La vigne et le vin sont présents au Maroc depuis l’Antiquité. C’est sous l’impulsion des romains que la vigne fut installée dès le début de l’ère chrétienne dans le but de concurrencer les vins de Gaule et de Rome. Puis avec la conquête musulmane, les vignes se sont orientées naturellement vers la production de raisin de table. Actuellement, les trois-quarts de la superficie en vigne, soit près de 40 000 hectares, sont destinés au cépage de table (principalement le cépage indigène rose Doukkala). Mais la région de Meknès reste aussi l’une des plus grandes zones de la viticulture marocaine, destinée essentiellement à l’exportation, avec plusieurs milliers d’hectares réunis sous une AOG (appellation Guerrouane).


En revanche, il reste une chose surprenante et énigmatique pour moi.
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Personne ne semble se soucier des grappes de raisin produites… En cette fin d’année, elles finissent par sécher sur pied à la vue de tous… vraiment étrange ! La raison doit certainement être en lien avec l’histoire de ce pied de vigne… Il existe peut-être un lien social qui uni cette plante avec les habitants. Cette histoire locale reste malheureusement pour moi mystérieuse. Quelle frustration de ne pas en savoir plus ! Finalement mon admiration ne se limite qu’à une donnée purement dendrométrique, la circonférence à 1,3m…

Je retournerai la voir lors de mon prochain voyage et j’essaierai tout de même de mener discrètement mon enquête… il va falloir la jouer finement pour ne pas être démasqué et éveiller trop de soupçons auprès de la population locale !

Il me tarde d’y retourner, mais j’ai aussi une inquiétude sur l’état dans lequel je vais retrouver ce pied de vigne. En effet, un sérieux danger se trouve à proximité de la liane. Le risque d’incendie est bien réel. Je vous laisse juger par vous-même de la qualité du « tableau électrique » qui alimente le riad et placé à moins d’un mètre de la frondaison de la vigne… ça fait froid dans le dos !
tableau-electrique-medina-meknesUne autre vigne marocaine à découvrir avec cet article sur la Source Tamda à Zaouiat Cheikh.

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4 réflexions sur « Une vigne séculaire dans la médina de Meknès, Maroc »

  1. et bien quelle belle et inattendue découverte !
    le mystère autour de son origine et son histoire la rend encore plus fascinante.
    c’est peut-être un genre « d’arbre sacré » ce qui expliquerait pourquoi personne ne touche à ses fruits mais que le tronc soit patiné par les caresses de ses « admirateurs » !
    Je suis en plein délire païen là, désolée ☺
    En tout cas ça doit faire un beau pare-soleil végétal à la saison chaude…

  2. Oui c’est vrai, je n’y avais pas pensé mais le tronc poli par le contact répété des mains, la non récolte de ses fruits en font peut-être une plante vénérée, à l’image de ces Marabouts thurifères du haut plateaux de l’Atlas comme nous l’avait montré Damien dans son périple marocain :
    http://lestetardsarboricoles.fr/wordpress/2014/10/17/rencontres-arboricoles-au-maroc/
    Bon, il va vraiment falloir que j’éclaircisse ce mystère lorsque j’y retournerai 🙂

  3. Bonjour,
    Je suis passé il y a quelques jours à Meknès et la vigne et toujours là. Je voudrais préciser qu’il y a d’autres vignes dans la médina mais qui visiblemnt ne sont pas aussi anciennes. On y trouve aussi quelques beaux arbres qui doivent aussi avoir un certain âge.. (je ne suis pas spécialiste de la chose..). Petite précision au sujet du terme « riad ». Un riad est un jardin. Aujourd’hui , il est commun d’appeler riad un « dar » (qui est une maison..) possedant une cour arborée en son centre. C’est comparable à un atrium romain ou un patio espagnol.. L’endroit où est situé le pied de vigne à Meknès est en fait un « fondouk ». Sorte d’hôtel ancien (appelé « caravansérail » au moyen orient). Les étages étaient voués aux chambres des personnes, les magasins du Rdc au stokage des marchandises et la cour centrale au parquage des animaux..Le tout étant fermé par une porte d’entrée plus ou moins imposante.
    Je profite de l’occasion pour vous dire qu’on trouve dans la région de Tiznit / Tafraout dans le sud-ouest marocain un dragonnier que l’on trouve plus généralement aux Canaries.Cette essence appelée Ajgar par les berbères de cette région de l’Anti Atlas est située dans une zone difficile d’accès. Raison peut-être de son signalement tardif en 1996 . Je vais essayer de trouver l’endroit et de faire des photos de cet arbre qui peut atteindre 10 m. …

    • Bonjour Guillaume,

      merci pour toutes ces précisions 🙂
      Je suis bien content que tu l’aies trouvé dans le dédale des petites rues de la médina 🙂 🙂 🙂
      Effectivement, la présence de ces pieds de vigne plantés près des habitations sont assez fréquents (comme c’est le cas aussi en France en Ardèche et dans la Drôme), mais celui-ci atteint de belles dimensions peu courantes. Pour son âge, c’est vraiment difficile de donner une estimation. J’avais trouvé un autre joli pied de vigne dans le médina de Fès mais plus petit : 60 cm de circonférence. Et le menuisier qui travaillait à côté m’a affirmé que ce pied de vigne n’avait que 30 ans !!! Difficile à croire, mais il m’a dit qu’il poussait vite car il bénéficiait de l’écoulement de l’eau de pluie des toits…
      Mais en matière de vigne, j’ai une vraie merveille à vous présenter prochainement, deux fois plus gros que celui de la Médina de Meknès et poussant près d’une source dans la région de Beni Mellal. A suivre 😉

      J’espère que tu retrouveras la piste de l’Ajgar de Tafraout et que tu nous le présenteras prochainement 🙂

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