Le Saman géant de Kanchanaburi (Thaïlande) et quelques-uns de ses compères…

En attendant que le printemps s’installe pour de bon, Marc notre chasseur de séquoias, nous emmène sous d’autres cieux et d’autres cimes…

Saman,  arbre à pluie,  zamana : ces noms vous semblent sans doute fort exotiques.   Pourtant c’est un Saman qui fut élu « Arbre de l’Année » en France en 2016 où il reçut le Prix du Public.  Il s’agissait alors du zamana de l’habitation Céron, fierté de la Martinique.   Zamana étant l’appellation antillaise de cet arbre parasol que l’on retrouve un peu partout sous les tropiques sous des patronymes variés.

Je vous emmène aux antipodes de l’arbre martiniquais pour aller à la rencontre de ses cousins asiatiques, dont l’un figure au panthéon des arbres à pluie : le Saman de Kanchanaburi.

Côté « mesures classiques » de hauteur et de circonférence du tronc, notre saman pourrait passer inaperçu : 17m60 de hauteur et 9m15 de circonférence dans la partie la plus étroite de son tronc.  Cela dit, 9m15 est en soi déjà remarquable pour un arbre de cette espèce.

Mais ce n’est pas là qu’il faut chercher le côté exceptionnel de ce champion.   L’arbre a développé une couronne phénoménale.  Une couronne qui atteint 61 mètres de diamètre…  Un véritable hangar végétal de plus de 2800m²!

 

Pour nos imaginaires d’Européens, de tels chiffres sont évidemment interpellants.   Ce saman est-il pour autant une exception? Oui et non.   La caractéristique visuelle la plus marquante d’Albizia saman est en effet sa silhouette d’arbre parasol, avec cette faculté physique lui permettant d’étendre sa ramure aux quatre vents.   Si le saman se rencontre aussi en milieu forestier, il a largement été utilisé de par le monde comme arbre d’ornement ou arbre d’ombrage.   Dans de telles situations,  on lui laisse la place suffisante pour déployer ses ailes et faire bénéficier  les « rampants » alentour de sa fraîcheur très estimée sous le climat tropical.

Albizia saman est originaire du nord de l’Amérique du sud : Venezuela, Colombie, Pérou, Guyanes, etc.   Dès l’époque coloniale, l’espèce fut exportée sur tout le pourtour tropical de la planète.  Nous reviendrons sur les raisons de cet élan migratoire.  C’est donc fort logiquement en Amérique du sud que l’on retrouve mentions d’arbres aux proportions hors du commun.   Le plus connu d’entre eux était sans doute le « Saman de Güere », monument national au Venezuela, décrit par Alexander Von Humboldt en 1800.   Humboldt n’hésita pas à  faire remonter l’existence de l’arbre au temps de la première conquête espagnole, sans que cela puisse être prouvé pour autant.   Le saman en question affichait des dimensions pratiquement identiques à  celles du géant de Kanchanaburi puisque Humboldt évoque une circonférence de couronne de 180m.  De nos jours le Saman de Güere n’est plus qu’un souvenir.  Déjà très mal en point, l’arbre fut déraciné lors d’une forte tempête en 2000.
Ce qui reste du tronc fit l’objet d’une préservation particulière et le site est toujours mis à l’honneur.

De beaux sujets sont signalés en Afrique du Sud, dans les Antilles ou encore à Singapour, mais aucun ne semble atteindre l’amplitude du seigneur de Kanchanaburi.   En revanche, le plus gros saman en terme de circonférence de tronc se trouve en Inde :  le  « Saman du Bhramapoutre » affiche 11m50 de tour.

Signalons encore « l’arbre d’Hitachi ». Si, si, la compagnie hi-tech!   La couronne de ce dernier s’étire sur 40 mètres de diamètre.  Il n’est pas si nippon que ça puisqu’il pousse à Hawaii sur l’île d’Oahu. Mais revenons à notre saman thaïlandais.

Baignée par la rivière Kwaï, Kanchanaburi se situe à l’ouest de la Thaïlande, aux extrémités de la plaine centrale.  Terre de rizières et de cultures de cannes à sucre.  Le climat y est particulièrement chaud.  Si l’on franchit la rivière Kwai vers l’ouest et que l’on s’éloigne des plaines alluviales, la route s’élève.  Les premières collines font place aux montagnes, et l’on arrive en Birmanie, actuel Myanmar.

Le saman de Kanchanaburi  pousse dans ces dernières plaines  limitrophes de la rivière Kwai.  Les prairies sont ici exploitées pour l’élevage des chevaux.   Manèges et haras se succèdent, dont ceux très imposants de la cavalerie de l’armée thaïlandaise.   Les dernières installations précédant l’arrivée au saman abritent un hospice pour chevaux âgés qui y mènent une retraite tranquille.

Les samans sont nombreux dans ce décor, apportant l’ombre indispensable aux équidés suant sous le soleil.   Les arbres de toutes les tailles montrent cependant des signes évidents de stress hydrique.   La Thaïlande n’est pas épargnée par les phénomènes climatiques récents et la plaine centrale subit des périodes de sécheresse récurrentes.  Les samans dépérissants ont la fâcheuse tendance à perdre leurs grosses charpentières de manière brutale avec pour conséquence un déséquilibre général de l’arbre dont il ne peut récupérer de façon vitale.

Le grand saman montre lui aussi des signes de faiblesse.    Ses racines traversent un chenal à proximité.  Vu la saison, lors de notre passage celui-ci était bien sûr à sec.  Mais d’après les commentaires des locaux, les périodes de disette sont de plus en plus longues.

Le saman de Kanchanaburi est un arbre protégé, adulé, et bien sûr visité par la population Thaï et par les touristes étrangers, bien que ces derniers ne soient pas si nombreux.  Il fait l’objet d’une signalisation pertinente.  L’arbre figure également dans un recueil officiel des arbres remarquables du Siam établi sous le patronage du Roi de Thaïlande.

Il serait cependant opportun de signaler aux visiteurs l’interdiction de grimper ou  de s’assoir sur les branches basses et d’éviter de piétiner les racines.  Dans le bouddhisme thaïlandais, les arbres  (surtout les grands sujets) font l’objet d’un culte et d’une dévotion particulière.  Il est donc difficilement envisageable d’interdire au public de s’approcher du saman.

Si vous visitez un jour la Thaïlande et  souhaitez  vous rendre auprès du saman,  le plus simple est de rejoindre la ville de Kanchanaburi, à deux heures et demie de route de Bangkok.   De là, vous pouvez facilement louer un scooter pour l’équivalent d’environ 7 € par jour.  L’arbre se situe à 20 km au sud-ouest de la ville.   Kanchanaburi est surtout connue pour son célèbre « Pont de la Rivière Kwai » immortalisé dans le film éponyme.  Le pont draine un public nombreux qui hélas ne remarque pas le vénérable et vénéré banyan  (Ficus religiosa) qui veille à son entrée.

Retour sur le saman dont nous avons évoqué la propagation à l’ensemble des tropiques.   On l’a vu à Kanchanaburi, sa fonction de parasol est appréciée dans les pâtures.   Elle l’est également dans l’agriculture où il sert d’ombrage aux plantations de cacao ou de café par exemple.  Notre arbre a aussi la bonne idée de replier ses feuilles en cas de pluie, ce qui permet l’arrosage des plantations qu’il abrite (d’où son nom d’arbre à pluie).   Le fruit du saman est comestible et se présente sous la forme d’un haricot assez long, vert sur l’arbre, et brun foncé ou noir lorsqu’il tombe au sol.   Les fèves sont utilisées pour nourrir le bétail.  La chair du haricot, légèrement sucrée, est également comestible et utilisée dans la fabrication d’un alcool.  Il n’a toutefois pas le succès du fruit du tamarinier auquel il ressemble mais qui est nettement plus gouteux.

Ajoutons à cela une reproduction naturelle facile, et vous comprendrez pourquoi les samans se sont aussi largement répandus sous les tropiques.   Le dernier aspect reste tout simplement la beauté de l’arbre qui lui a valu d’être planté dans de nombreux parcs et jardins.   L’ancienne cité royale d’Ayutthaya, située elle aussi dans la plaine centrale thaïlandaise, illustre à merveille cet aspect ornemental.    Les majestueux samans y sont tout aussi nombreux que les anciens temples ruinés et  contribuent à l’atmosphère particulièrement romantique des lieux.

 

 

 

 

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5 réflexions sur « Le Saman géant de Kanchanaburi (Thaïlande) et quelques-uns de ses compères… »

  1. Merci Marc pour cet arbre fantastique, ça donne envie de siffler d’administration d’autant que le lieu s’y prête ! On a presque l’impression que l’image est étirée horizontalement tellement cela paraît improbable comme proportions. Au moins on lui laisse une sacrée place et une place sacrée.
    Ce qui m’étonne et m’attriste en même temps, c’est qu’il y a registre officiel des arbres remarquables de Thaïlande, alors qu’en France on a, hormis l’ONF, on a rien de comparable, on doit se battre pour préserver nos plus éminents représentants de gente ligneuse. Navrant…

  2. Bravo et merci Marc, de nous faire partager tes voyages au bout du monde .
    un théier qui mesure plus de 20 m de haut je ne savais pas que cela existait !!
    quand à l’Albizia saman il est vraiment magnifique.

  3. Un grand bravo !!
    Très bel article et magnifique Albizia !!
    On a bel et bien un mal fou à s’imaginer des telles dimensions.
    Je l’avais bien sûr vu sur Monumental trees, mais il méritait évidemment un article à lui seul.
    Probablement que le bouddhisme favorise la protection des arbres et dans ses pays où l’arbre est comme une divinité on a tout pour penser que l’écologie même de base est beaucoup mieux ancrer.
    Pour ce qui est des espaces boisés, c’est peut-être une autre histoire.

  4. MerciI Concernant la Thaïlande, le tableau n’est quand même pas idyllique à ce point. Certes il y a cet ouvrage sur les arbres remarquables mais ils y sont relativement peu nombreux au regard de la taille du pays et de sa diversité. Et comme le dit Sisley, les forêts y sont particulièrement vulnérables et dans beaucoup d’endroits, il est déjà trop tard. Effectivement le Bouddhisme favorise la protection des arbres à titre de sujets individuels particuliers dans les villes et villages. Mais le lien n’est pas fait avec une protection plus collective des espaces verts. Il y a de nombreux parcs nationaux en Thaïlande mais paradoxalement, la pression destructrice sur les espaces naturels y est particulièrement élevée (pression démographique/nécessités agricoles – traitement des déchets, etc. et pression économique/développement touristique dans le sud – exploitation du bois dans le nord). Pourtant, c’est le genre de pays où il ne faudrait pas grand chose pour que le déclic ait lieu… Un peu comme chez nous, en somme.

    • Merci pour toutes ces précisions, et bien sûr je ne doute pas que tout n’est pas rose ! Toutefois, sur le point précis des arbres remarquables, je constate que de nombreux pays ont une protection spécifique ou un statut particulier (qui valent ce qui valent…) et j’espère qu’en France on y viendra !

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