la photogrammétrie au service des chercheurs d’arbres

Encouragé par Castor je me permets de partager avec vous une de mes techniques Vaudou de téléprospection: la photogrammétrie.

Fasciné depuis pas mal de temps par les technologies d’acquisition/représentation 3d du réel, notamment en archéologie, je me demandais dans quelle mesure ces techniques pouvaient être exploitées/récupérées en dendrologie/dendrométrie. J’en rêvais sans trop y croire, comme un enfant rêve de piloter une navette spatiale, avec la décevante certitude de l’inaccessibilité de la chose.
Ces dernières années le sujet s’est toutefois démocratisé, bien plus rapidement que je ne l’imaginais (en partie via l’arrivée des drones) ; et puis, cela devait bien finir par arriver, certains ont eu l’idée de scanner des arbres (voir ici par exemple. Vu aussi dans des documentaires récents, cela ne vous aura certainement pas échappé).

Outre l’acquisition 3d d’un objet défini, ces technologies permettent un traitement à grande échelle d’une zone donnée par drone, avion ou satellite. Une forêt par exemple…
J’dis ça j’dis rien…

J’ai donc appris avec émerveillement, mais sans surprise (car je savais désormais la chose techniquement possible ; il suffisait d’attendre que quelqu’un ait l’envie et les moyens), la découverte d’arbres géants en Afrique, en Malaisie ou ailleurs via des technologies Lidar (et ce n’est que le début à mon avis). Plus proche de moi j’ai su que la ville de Genève avait réalisé un scan du canton avec une précision altimétrique annoncée à 10 cm!
Un outil qui laisse rêveur.

Toutefois il était évident que ces technologies n’étaient pas encore accessibles au dendrophile lambda. Terriblement frustrant!

Et puis je suis tombé sur un article en anglais expliquant comment utiliser Gougueule-earth pour déterminer les hauteurs de bâtiments dans les zones couvertes par la photogrammétrie.

→ Contrairement à la lasergrammétrie qui consiste à utiliser un laser pour scanner un objet, la photogrammétrie reconstitue le-dit objet par la prise de photographies sous différents angles (un peu le principe de notre vison en relief), ce qui permet à Gougueule d’afficher dans certains cas des cartes en 3d.


Je me suis donc jeté sur le logiciel pour tester le procédé sur les arbres…

Et ça marche!

Bon, autant le dire tout de suite: la méthode est très loin d’être parfaite, mais quand on en connait les limites elle peut s’avérer très intéressantes pour nous autres chercheurs d’arbres.

Petit point sur avantages et inconvénients de la chose avant d’en donner la recette:

avantages:

– Facilité d’utilisation quand on connait le procédé. Rapidité du résultat.

– Permet de ratisser une zone donnée avant d’aller y crapahuter. Pas mal pour occuper un arbo-explorateur qu’une journée pluvieuse rebute. Possibilité d’ajouter un repère puis de l’exporter ensuite sur un GPS ; très pratique une fois sur le terrain pour connaître avec précision – ce qui n’est pas toujours évident – la verticale du point le plus élevé d’un houppier, d’un ensemble d’arbres ou d’un boisement.

– Permet de vérifier la vraisemblance d’une mesure au dendromètre (une erreur est toujours possible. Ça m’est arrivé plus d’une fois).

– Peu de zones couvertes mais en augmentation, avec une précision elle aussi croissante avec le temps (suffit d’être patient). Probable (en tout cas vraisemblable) que dans moins d’une décennie l’ensemble du territoire sera couvert avec une précision inférieure au mètre. Perso je préférerais toutefois que l’IGN s’y mette.

Inconvénients:

– Inutilisable dans les zones accidentées et/ou en montagne car lecture du terrain, quasi systématiquement erronée, aboutit à des mesures de hauteur aberrantes.

– Peu pertinent dans les forêts, là aussi à cause d’une faible qualité de lecture du niveau réel du sol donnant des mesures non exploitables. Toutefois l’outil peut parfois être utile pour définir le houppier le plus élevé d’un boisement, ce qui reste très intéressant couplé à un gps.

– précision plutôt faible (photogrammétrie souvent bluffante de réalisme mais bien moins précise que la lasergrammétrie). Avec le temps j’ai pu comparer plus de 70 de mes mesures au dendromètre Suunto avec les résultats photogrammétriques. Au final les mesures réelles se situent dans une fourchette de +4 à -1m par rapport à la photogrammétrie. Écarts importants mais à nuancer, car la précision dépend du type de terrain = vague si le sol est peu visible, bien plus précis s’il s’agit d’un arbre isolé (sans compter que sur mes propres mesures je me suis sûrement planté une poignée de fois… Hum, pas trop j’espère). À noter aussi que la sous-estimation obtenue est en partie due à la grossièreté de la modélisation qui exclue les apex de conifères et les rameaux les plus fins. Sur des arbres isolés, en ajoutant ~50 cm à la photogrammétrie je suis parfois parvenu à des résultats quasi identiques aux mesures au dendro.

Malgré tous ses inconvénients le procédé reste toutefois très intéressant…

Passons donc à la méthode.

1) Dans Gougueule-earth ajoutez un polygone autour de l’arbre ou de la zone à mesurer.

2) Une fenêtre d’édition s’ouvre automatiquement. Onglet « altitude », choisir « Par rapport au sol »

3) choisissez une hauteur, mais plutôt que de valider contentez-vous de cliquer ensuite dans l’espace réservé au nom. Cela permet d’actualiser l’aperçu sans avoir systématiquement à réouvrir la fenêtre d’édition.

4) Augmentez progressivement la hauteur pour réduire à l’extrême les parties visibles des houppiers.

Vous pouvez zoomer avec la molette de la souris ainsi que vous déplacer avec les icônes de navigation en haut à droite (autour de l’œil pour changer l’angle de vue, autour de la main pour vous déplacer). Il est aussi possible de jouer avec la couleur et/ou l’opacité du calque pour optimiser la perception du point le plus haut.

Augmentez la hauteur jusqu’à voir disparaitre le point le plus élevé.
À noter que la fenêtre d’édition ne semble vouloir afficher que des chiffres arrondis, mais vous pouvez tout à fait entrer des mesures précises, en cliquant bien à chaque fois dans la barre de titre pour actualiser l’aperçu.

Avec l’habitude il existe des moyens d’optimiser la technique, en prenant soin par exemple lors de la création du polygone de faire coïncider le contour avec des zones où le terrain est bien visible (ici pelouses, chemins, route, parking),limitant ainsi les aberrations possibles dues à une mauvaise lecture du niveau du sol. Il faut tout de même essayer d’être le plus proche possible de l’arbre…

Vous pouvez ajouter un repère à l’endroit précis où le houppier émerge (pour cela la hauteur du repère doit correspondre à la hauteur du polygone. Dans la fenêtre d’édition qui s’ouvre même manip qu’en (2) et (3) ).

Exporter ensuite celui-ci en .kml
(dans le menu à gauche: click-droit sur le repère ou sur le dossier contenant les repères, puis « enregistrer le lieu sous ». Si votre gps ne lit pas ce format il existe des convertisseurs gratuits en ligne pour transformer un kml en gpx).

J’ai ici pris pour exemple des arbres connus dont les hauteurs ont été mesurées avec précision par Sisley: Il s’agit de Patanes Strasbourgeois – voir ici sur Arbres Monumentaux).
On parvient avec cette technique, en variant les formes de polygones, à une hauteur comprise entre 43,8 et 44,1 m. Ajoutons à ces mesures la partie sommitale invisible due à la grossièreté de la modélisation (disons 50cm à 1m) et on obtient une estimation vraisemblable entre 44,2 et 45,1 m.
Sisley ayant obtenu 45,2 m on est pas trop mal.

Autre essai au hasard, les Platanes de Lavérune. Photogrammétrie= 50/50,2 m soit une mesure estimée entre 50,5 et 51,2 m. Mesure Castor = 52,5m (pas mal ici aussi, la fourchette haute étant de +4m l’estimation pouvait être poussée jusqu’à ~55 m)

Un dernier essai pour la Route: un Séquoia à Lourdes mesuré par DBZT. Photogrammétrie = 35,3 m soit une hauteur estimée entre 35,8 et 36,3 m. Mesure DBZT = 36 m…

Voila, j’espère que ça vous aura intéressé.

N’hésitez pas à partager vos retours ; je serais curieux de savoir si cette technique vous a permis de faire de belles découvertes.

(J’ai ratissé le bassin Grenoblois pour Castor, histoire de voir la pertinence – ou non – de la chose dans le cadre de son inventaire minutieux de la zone. Peut-être pourra-t-il nous donner son avis.)

D’autres techno-bidouilles attendent dans ma besace de sorcier si ça vous intéresse, notamment des estimations de hauteurs via street-view pour les zones non couvertes par la 3d, des estimations de circonférences assez précises (street-view+géoportail) et aussi une très efficace technique pour dénicher n’importe où les vieux arbres via le Géoportail…


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6 réflexions sur « la photogrammétrie au service des chercheurs d’arbres »

  1. Excellent !
    Un super article très bien expliqué et détaillé pas à pas, merci Tristan de nous faire découvrir l’une de tes recettes magiques. Il est rare que les magiciens dévoilent leur tour de magie 🙂 🙂 🙂
    Et je confirme, les résultats testés sur le dernier inventaire sont super pertinents et d’une précision souvent bluffante !

    On attend la suite… celle de la méthode combinant le geoportail ! C’est dans celle-ci que tu ajoutes une patte de corbeau en fin de cuisson pour rendre la recette diaboliquement efficace ? 😉

  2. Tu es le Big Brother de l’arbre, tu peux surveiller les géant depuis ton pc!

    En tout cas bravo pour cette technique, j’ai hâte de découvrir la suite…

  3. Bonjour Tristan,

    Excellent article, à noter que tu utilises Google Earth « Pro ». Moi qui navigue souvent sur Earth tout court, je ne connaissais pas la version Pro que tu semble exploiter à merveille !
    Tu as raison de te servir de ce genre d’outils. Pour ma part, rien qu’avec les images satellites de Google Maps, j’ai pu relever plus de 200 séquoias (grâce à leurs ombres) dans le département de la Vienne sur sequoias.eu. Mine de rien, si j’avais réalisé cet inventaire départemental il y a 20 ans, je serais passé à côté de tout ça !

    Quant à la photogrammétrie, c’est une techno fantastique mais malheureusement encore exclusive aux grandes villes. Vivement son extention aux zones rurales, voire sauvages !
    En tout cas je vais m’empresser de tester des mesures sur Earth Pro et je suis très intéressé pour les mesures de hauteur et de circonférence sur Street View =)

    Merci pour ces techniques de chasse et hâte d’en découvrir d’autres !

  4. Merci pour cette intéressante initiative pour mesurer les hauteurs d’arbres … mais je n’arrive même pas à créer le polygone …ça doit buguer quelque part !

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