Le Filaire de l’enclos des abeilles (Boucoiran-et-Nozières, Gard)

Pat’, notre Reporter des Garrigues, nous présente sa dernière trouvaille. Il s’agit d’une découverte majeure concernant une espèce rarement présentée dans nos inventaires sur les arbres remarquables.
Et voilà, un de plus ! Un nouvel arbre d’exception qui s’ajoute à l’incroyable richesse arboricole du Gard !

Un lundi après-midi de septembre dernier, je décidais de sauter la sacro-sainte sieste méridionale et d’embarquer mon père à la (re)découverte d’un petit cimetière quasi abandonné de ma commune (Boucoiran et Nozières au centre du Gard).

Principalement pour mettre des images sur mes recherches historiques, mais aussi pour revoir cette bulle de sérénité hors du temps, à l’origine en pleine garrigue, mais de nos jours cernée par les habitations nouvelles.
Je connaissais déjà son joli chêne vert vénérable (mais pas encore remarquable) à côté du maset en ruines, mais en me dirigeant vers la sortie, un arbre aux troncs jumeaux attira mon attention pour la première fois.

Jusque là, je l’avais pris pour un chêne vert mais en y regardant de plus près, ses feuilles et ses fruits me révélèrent que c’était plutôt un filaire.
De belle (double) taille !

Si je ne sors jamais sans mon appareil photo, je n’ai que rarement un mètre ruban pour prendre les mensurations des arbres.
Alors pour avoir une « échelle », j’ai fait poser mon papa sur la photo, avant de l’envoyer au spécialiste des arbres remarquables gardois (et limitrophes) Yves Maccagno.

[ NDLR : et pourtant, c’est pas faute de te l’avoir dis et redis ! La panoplie du parfait chasseur d’arbres est constitué de 3 objets essentiels : un mètre ruban (format XXL), un appareil photo et un petit carnet ! le GPS est un plus appréciable surtout après avoir passé le cap des mille arbres rencontrés 😉 ]

Qui confirma mes suppositions et vint vérifier sur place le week-end suivant.
Il s’agit donc bien d’un filaire à double tronc.
Un Phillyrea media., 1759 pour les puristes.
Un filaire intermédiaire pour les béotiens (dont je fais partie), parce qu’il existe aussi des filaires à feuilles étroites et des filaires à feuilles larges…
On le trouve couramment  en garrigue sous la forme d’un arbuste, souvent pas plus gros qu’un buisson. D’où le caractère exceptionnel de celui-ci.

[ NDLR : la précision sur l’identification de cette espèce par le botaniste Yves Maccagno a toute son importance. Les filaires à feuilles larges sont généralement les plus gros filaires rencontrés, dont le plus célèbre est celui du Jardin des Plantes de Montpellier (petit coup de pub gratuit pour mon département 😉 ). Les filaires à feuilles étroites restent à l’état buissonnant et sont rarement, de ce fait, intégrés dans les inventaires des arbres remarquables. Le filaire intermédiaire est rarement identifié par les chasseurs d’arbres, il est souvent absent des inventaires. ]

Passons aux chiffres : la circonférence de ces troncs jumeaux est de 1m et 90cm à 1,30m du sol.
Avec Odile, la partenaire des balades arboricoles de Yves, on a bien essayé d’influencer le chef pour qu’il prenne la mesure des troncs un peu plus bas, là où ils étaient bien plus gros mais ça n’a pas marché !
La hauteur est estimée à 7 m.
Son âge approcherait les 4 siècles !! (Un filaire de Sully ? Non, je plaisante).
Ses coordonnées GPS (c’est de l’hébreu pour moi, mais un certain Castor Masqué y tient beaucoup !) : N 43,9921° / E 004,18430°

[ NDLR : c’est vrai, je reconnais que j’y tiens beaucoup, mais seulement lorsque je suis en terra incognita. Dans le Gard, j’ai l’honneur d’avoir un ou deux guides gracieusement mis à ma disposition à chacune de mes visites 🙂 ]

Dans un environnement préservé depuis un siècle et demi (création du cimetière), il pousse sur une ancienne faïsse (bande de terre cultivée soutenue par des murs de pierres sèches) appelée l’enclos des abeilles. Malheureusement un des deux troncs présente des signes de faiblesse : champignon, branche cassée et trou certainement fait par un pic.

La fin de vie approche.
Mais sa sépulture est toute trouvée dans ce havre de paix.
Une dernière petite photo pour en apprécier la hauteur.

Le mot de la fin à Yves Maccagno : « mais quand s’arrêtera-t’on de découvrir des arbres remarquables dans le Gard ? »
Petite réponse chauvine et fiérote, et parce qu’il faut toujours que j’ai le dernier mot ☺:
« Oui, mais celui-là il est le seul arbre remarquable endémique de la commune de Boucoiran1 et c’est ma première découverte personnelle ! »

 1 : le pin de Monterey présenté p162 du tome 1 des arbres remarquables du Gard par Y. Maccagno et son voisin, l’arbre à perruques de la page 9 de la 2e partie du 3e opus (ouf !!)  de Yves sont des arbres exotiques d’ornement plantés assez récemment…

[ NDLR : c’est vrai, c’est ta première découverte « majeure », mais ton sens aigu de l’observation sur le terrain a permis aussi d’autres belles trouvailles… Tu as un même un cade à ton nom près du ruisseau de La Droude à Brignon 🙂 ]

Share Button

9 réflexions sur « Le Filaire de l’enclos des abeilles (Boucoiran-et-Nozières, Gard) »

  1. Merveilleuse découverte, merci Pat’ 🙂 🙂 🙂

    2 petites questions :
    – D’où vient ce nom « d’enclos des abeilles »… étrange pour un cimetière
    – L’estimation de l’âge de 400 ans me semble très osée. Il ne semble pas qu’il y ait moyen de rattacher la présence de ce filaire « sauvage » à un évènement historique connu qui permettrait de donner une estimation de son âge. De plus, le petit cimetière aurait 150 ans. On pourrait aussi imaginer que ce semis naturel soit venu s’installer dans le nouveau cimetière au moment des travaux du mur d’enceinte… ?

    • Merci Castor pour la mise en page et en ligne 😉

      — Pour l’enclos des abeilles on peut supposer qu’il y a eu des ruches à une époque où la garrigue était cultivée. Ce terrain a été légué à la commune par la dernière descendante d’une riche famille protestante du village, afin que ça deviennent un cimetière. Et préserver le tombeau familial (les protestants ne pouvaient s’enterrer dans le cimetière communal avant le 19e siècle.)
      — Pour l’âge c’est une estimation basée sur la grosseur des troncs je suppose (voir avec le chef 😉 ) c’est en pleine garrigue (je me répète) et il n’y a pas d’eau, à part la récupération des eaux de pluie à côté du maset, et le filaire n’est pas tout contre. Et c’est une essence qui doit mettre très longtemps à grossir. Surtout autant !
      Je pense qu’il était là bien avant la création du cimetière, mais désolée je n’ai pas encore trouvé son extrait de naissance dans les archives municipales 😀
      C’est sûr que depuis 150 ans il a été préservé par l’enceinte du cimetière, sinon au vu de ce qui se passe autour il serait tombé depuis un moment et sa souche ensevelie sous du béton, du goudron (et non, pas de plumes… quoique !)
      Mais seulement 150 ans pour ces tours de taille-là… j’ai des doutes !
      Yves vous en pensez quoi ?

      • Bonjour Pat et le Castor,
        Vu la dimension des troncs je pense que l’âge de 400 ans n’est pas usurpé. C’est une espèce à croissance très lente et je me base toujours sur le spécimen du Jardin des Plantes de Montpellier qui est attesté depuis 400 ans et possède un tronc unique comparable à la base de celui de Boucoiran.
        Yves

        • Merci Yves de votre passage et de votre réponse.
          Chic on va pouvoir ouvrir un « mini » jardin des plantes au village. Je vous ferai des photos au printemps, vous verrez ça vaut vraiment le coup 😉

  2. Merci pour cet article Pat’ et Castor, très agréable à lire et bien documenté !

    C’est plaisant de pouvoir admirer une essence comme celle-ci, trop rarement signalée dans les inventaires, vous avez raison 🙂

  3. Avec Yves vous allez former un duo de chasseurs d’arbres!
    En tout cas bel trouvaille, et bravo pour le coup d’œil, ces essences assez discrètes ne sont pas évidentes à repérer.
    Concernant l’âge, je n’ai pas de références, mais ne peut-on pas penser que ce sujet à profité de conditions de sol particulières pour atteindre de tels dimensions plus rapidement que ses congénères?
    Si la partie la plus ancienne est un peu fatiguée, la présence de rejets à sa base semble indiquer qu’il lui reste un beau potentiel de survie.

    • Merci Yannick,
      oui heureusement que Yves n’est pas loin pour les références botaniques sérieuses.
      Moi j’ai juste le mérite d’être curieuse 😉
      Et au sujet des conditions de sol « un peu particulières » je vais encore vous faire part d’une réflexion de Yves (il ne dira plus rien en ma présence si ça continue 😀 ) : « au pied du filaire se trouve 2 tombes, donc oui on peut penser qu’il a pu bénéficier d’un sol « riche » depuis une centaine d’années…. » 😉

Répondre à Aurélien G. Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.