L’Orme de Gorbio (Alpes-maritimes)

Dans la série « Ormes méditerranéens : les rescapés de la graphiose » , il reste un dernier épisode jamais diffusé sur nos blogs arboricoles krapo-têtards, celui de l’Orme de Gorbio dans l’arrière pays niçois.
Vous allez découvrir un arbre qui jouit d’une belle notoriété locale dans ce village perché typique de la Côte d’Azur et vous serez surpris d’apprendre qu’il a même eu sa petite heure de gloire bien au-delà de nos frontières… toute une histoire ! 🙂

Si la plupart des arbres remarquables gardent une grande part de mystère, il n’en est rien pour l’Orme de Gorbio. Il suffit de cliquer ces trois petits mots sur un moteur de recherche pour voir s’afficher des dizaines et des dizaines de pages à son sujet. Quelle célébrité ! C’est assurément la vedette et l’emblème de ce petit village perché entre Menton et Roquebrune.
Son histoire est globalement bien connue et permet de le distinguer des traditionnels Arbres de Sully plantés à l’époque d’Henri IV, bien qu’il en ait tous les attributs potentiels (position centrale dans le village, vocation de regroupement de la population, sénescence de son tronc…).
La date de plantation officiellement retenue est 1713, ce qui en fait un orme tricentenaire. Une plantation qui n’est pas due au hasard puisque cette date correspond à un événement historique majeur : la signature du Traité d’Utrecht qui met fin à douze années d’une guerre sanglante entre la France de louis XIV, l’Espagne et une coalition d’états européens. A la suite de ce traité, le comté de Nice (ex-possession espagnole) passe dans le Duché de Savoie. A ce propos, le Maire de Gorbio, Michel Isnard, considère le vieil arbre comme un symbole de liberté et de paix retrouvées. Il incarne même une certaine solidarité dans le village puisqu’il était de coutume que « sous l’orme se réunissait les représentants des familles, lesquels prenaient les décisions nécessaires pour défendre leurs intérêts. » Les décisions étaient prises à main levée, chacun étant l’égal de l’autre, selon le vieux dicton italien :
“Tout homme sous l’orme est un homme ” INTERO”  ( traduction : fort de tous ses droits)
De nos jours, sur la Place de la République où se trouve le vieil arbre, les discussions et palabres sur la vie de village sont toujours aussi animées même si les décisions municipales sont prises de manières plus officielles et selon notre lourd protocole administratif.
Mais ce n’est pas tout, chaque année la grande fête médiévale de l’Orme continue à montrer tout l’attachement des Gorbarins à ce patrimoine vivant, véritable emblème de leur village.
Inutile de s’attarder plus longtemps sur l’histoire du vieil orme, qui comme vous vous en doutez, a été le témoin durant trois longs siècles d’une multitude de péripéties qui ont marqué la vie du village. Pour les curieux qui en veulent toujours plus, son histoire est racontée en détail sur le site de la municipalité de Gorbio : ici.

Vous aurez compris que ce vieil orme est le coeur et l’âme du petit village de Gorbio. C’est donc tout naturellement qu’il a reçu le prestigieux label « Arbre remarquable de France » dès 2002.
Mais sa notoriété ne s’arrête pas uniquement à ce label honorable. Il apparaît également dans un clip de Céline Dion, « Falling into you » (album vendu à 32 millions d’exemplaires dans le monde !) tourné intégralement dans le charmant village de Gorbio en 1996. Certes, le vieil arbre de la place du village n’apparaît que brièvement dans le clip (vers 2min 25 et 4min20) mais quand même, quelle notoriété internationale, le clip sous youtube a été visionné plus de 12 millions de fois !
Se retrouver dans un clip de Céline Dion, ça c’est la gloire !!! ça nous change des légendes improbables que l’on a l’habitude d’attribuer à nos arbres remarquables français, comme quoi certains auraient été plantés par Henri IV lui-même ou aurait abrité les troupes de Napoléon sur la route des Alpes ou encore aurait servi à attacher le cheval de François Ier…. Pff, que de futiles légendes comparées à un clip de la Star québécoise 😉


Après tant d’éloges et d’admiration, passons aux choses sérieuses… A ce stade du récit il convient désormais de faire un point sur son état sanitaire et tout particulièrement sur son incroyable résistance à Ophiostoma ulmi , le funeste champignon responsable de la graphiose, connue sous le nom de maladie hollandaise de l’orme et responsable de la disparition de la majorité de nos vieux ormes français.
Sa position méridionale à l’extrémité de la chaîne des Alpes ne l’a pas protégé de l’agent infectieux. Selon les témoignages passés, son houppier était gigantesque au début du XXème siècle et avait même dû être rabattu à plusieurs reprises pour ne pas gêner les riverains. L’observation des cartes postales anciennes est à ce propos riche d’informations… parfois surprenantes et inattendues.
On remarque bien sur les cartes postales du tout début XXème siècle, le houppier du vieil arbre s’étalant largement sur la place du village. On s’aperçoit aussi sur l’une d’elle que les branches maîtresses ont fait l’objet de tailles assez sévères dans cette première moitié du XXème siècle. Une autre carte postale colorisée, datant probablement des années 50-60 (d’après les véhicules présents sur la photo), montre en revanche un orme totalement défiguré dont il ne reste que quelques départs de branches au sommet d’un tronc court. Cette taille radicale est survenue avant que la France ait connu les ravages de la graphiose dans les années 70-80. On peut alors se demander si le mauvais état sanitaire actuel n’est pas dû en grande partie aux tailles répétées et abusives de son houppier. La graphiose est très certainement aussi en cause dans le mauvais état sanitaire actuel mais elle a dû trouver un substrat favorable pour son développement sur cet arbre déjà affaibli.


Côté dimensions, l’Orme de Gorbio est assurément un digne représentant de son espèce sans pour autant pouvoir rivaliser avec les plus gros ormes de France. Sa circonférence en janvier 2021 est de 5,40m à 1,30m du sol et 6,50m mesurée à la base du tronc. Il convient toutefois de relativiser ce modeste tour de taille puisque c’est le plus « jeune » des vieux ormes méditerranéens. Il n’a en effet « que » 300 ans, alors que ses cousins sont âgés de 400 ans voir peut-être plus.

Dans l’état actuel de nos connaissances en ce début d’année 2021, reprenons la liste des vieux ormes méditerranéens d’Est en Ouest :
Alpes maritimes : Orme de Gorbio, 300 ans, circonférence 5,40m
Var : aucun vieux ormes vivants connus à ce jour.
Bouches du Rhône : Orme des Alpilles, 400 ans, circonférence 4,30m pour la plus grosse tige.
Vaucluse : aucun vieux ormes vivants connus à ce jour.
Gard : Vissec, circonférence 2,90m, âge estimé entre 100-200 ans.
Lozère : St Pierre-des-Tripiers, circonférence 5,71m, le seul orme ne présentant aucun signe d’attaque de la graphiose mais dans des conditions plus montagnardes que méditerranéennes
Hérault : St Maurice-Navacelles, circonférence environ 7m dans un état très dégradé, seul Arbre de Sully du département. Pour mémoire, deux autres vieux ormes morts dernièrement : celui du Caylar circonférence environ 4m, mort à un âge inconnu en 1987 et transformé en sculpture; celui de Poilhes circonférence 4,65m, mort à 400 ans dans l’indifférence la plus totale
Aude : Villesèquelande, circonférence 5,45m, 400 ans, dans un bon état sanitaire grâce à un ingénieux système de perfusion pour le protéger de l’agent infectieux.
Pyrénées-Orientales : aucun vieux ormes vivants connus à ce jour, mis à part celui du en bord du littoral au Mas Larrieu, centenaire mais mort en 2017.
Corse : aucun vieux ormes vivants connus à ce jour.

Share Button

7 réflexions sur « L’Orme de Gorbio (Alpes-maritimes) »

  1. En effet quel beau spécimen !
    Et quelle belle présentation avec LA pointe d’humour qui va bien.
    Je suis sidérée par son état sur la carte postale en couleurs !!!
    L’inventaire des ormes méditerranéens est plutôt étique 🙁

  2. Merci pour vos commentaires, je suis bien d’accord avec vous, ce vieil orme dans ce petit village perché est plein de charme et vaut bien les quelques kilomètres de routes sinueuses à affronter pour lui rendre visite.
    Concernant les cartes postales anciennes, j’ai été surpris que le vieil orme soit si peu représenté et il ne semblait pas être digne d’un intérêt majeur au début XXème… Ce qui explique peut-être ces tailles abusives qui lui ont été pratiquées pour limiter son houppier. A croire que sa forte notoriété actuelle soit plutôt assez récente et a pris de l’ampleur avec la fête médiévale de l’orme chaque année en septembre.
    Pour l’inventaire des ormes méditerranéens, c’est vrai que c’est maigre, très très maigre… Mais c’est un constat général sur toute la France et pas spécifiquement lié à la zone méditerranéenne.

  3. En effet tous les arbres remarquables n’ont pas la chance de figurer dans le clip d’une star !
    Ce qui m’impressionne encore plus, c’est la réitération de branches que cet orme a été capable de fournir depuis 1950-1960, surtout à son âge !
    Esperons que la graphiose l’épargne et que les habitants du village le protègent !
    Merci pour cette découverte 🙂

  4. Ostie d’artik, tabarnak!
    Au top comme d’hab.
    Sinon pour le Vaucluse, deux Ormes signalés par le CAUE, sans précision de localisation (disparus?): Avignon (c3,90) et Brantes (c3,60)…
    Si tu veux mener une enquête exhaustive, voir peut-être avec Eric Collin, spécialiste des Ormes, retraité de l’Irstea (mais toujours animateur du réseau conservatoire ‘orme’ de la CRGF je crois) qui m’avait signalé quelques spécimens il y a quelques années déjà.

  5. @ Frédéric : lors de mon passage, il était défeuillé, je n’ai pas pu déterminer son espèce. Pas d’info à ce sujet non plus sur le web. Mais par déduction il est fort probable pour que ce soit un orme champêtre, comme c’est le cas avec les vieux ormes méditerranéens. A confirmer lors d’une prochaine visite.
    @ Aurélien : oui c’est fou, il a l’air d’avoir meilleure mine aujourd’hui que dans les années 50. Ce serait intéressant d’avoir d’autres photos de cette période pour bien juger de son état.
    @ Tristan : ah dès que l’on parle d’inventaire, tu sors de ton hibernation la marmotte 😉 C’est le mot magique ! En tout cas bien vu ce complément des ormes potentiels dans le Vaucluse, il m’avait échappés sur ta carte de France. Par contre la position de celui d’Avignon ne semble pas être connue précisément, ça ne va pas être forcément simple de le retrouver. Celui de Brantes semble être mieux positionné, à l’occasion lors d’un prochain passage au Ventoux j’essaierai de lui rendre visite.
    Merci pour ce complément d’infos 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.