Le Bunya-bunya de Menton (Alpes-Maritimes)


Menton bénéficie d’un microclimat subtropical bienfaiteur qui lui fait presque ignorer l’hiver...

C’est la promesse annoncée par le site internet de ce petit bout de France niché entre Monaco et la Riviera italienne.
C’est sûr qu’en plein hiver sibérien ça peut faire rêver, mais c’est plutôt le terme « microclimat subtropical » qui m’enthousiasme et me laisse imaginer la possibilité de faire des rencontres arboricoles hors du commun.
Alors, entre « Menton ville du citron », « Menton ville jardin », je choisis l’option « Menton et ses arbres tropicaux » pour partir à sa découverte.
Et les surprises ne vont pas tarder à arriver, avant même d’avoir atteint la célèbre baie de Garavan, berceau de l’agrumiculture, une étrange silhouette dans une rue parallèle attire mon regard.

Une curieuse silhouette qui ne ressemble à aucune autre que je connaisse. Cet arbre gigantesque se trouve isolé au bord d’une petite rue. Il s’agit probablement d’un rescapé issu d’un ancien jardin anglais du XIXème siècle, comme ils sont si nombreux à Menton.
Je tourne autour de lui plusieurs fois, observe son étrange écorce veinée de lignes rugueuses, ses branches rectilignes, ses feuilles en écailles pointues dont la disposition change le long du rameau… bizarre, très bizarre… Je m’éloigne ensuite pour tenter d’apercevoir des fleurs ou des fruits… mais toujours aucun signe pour m’aider dans l’identification de cet arbre inconnu. Ah ça y est, bingo ! En utilisant le zoom de mon appareil photo je distingue, au sommet du houppier, des fruits globulaires ressemblant à des petits ananas verts et des cônes violacés. Cette fois ça me fait penser à un Araucaria, mais pas à celui que l’on a l’habitude de rencontrer. Il est proche d’Araucaria araucana, mais ce n’est pas lui, j’en suis sûr, c’est une autre espèce… qui m’est totalement inconnue.
Ce n’est qu’une fois rentré chez moi, après avoir consulté plusieurs ouvrages spécialisés et différents sites web arboricoles que je parviendrai à l’identifier avec certitude : Araucaria bidwillii, dans toute sa splendeur !
Effectivement, sa silhouette globulaire en forme d’œuf est assez caractéristique, bien qu’elle soit moins marquée sur cet exemplaire à double cime. Ses branches horizontales et ses feuilles rigides et acérées d’un vert brillant sont typiques de bidwillii.
Il fait parti des espèces étonnantes rattachées au genre Araucaria, ces « arbres fossiles » qui couvraient l’ancienne terre du Gondwana il y a plus de 200 millions d’années et qui se sont retrouvées dispersées dans l’hémisphère sud avec la dérive des continents. Ainsi, les 19 espèces d’Araucaria se trouvent de nos jours réparties entre :
– le Chili, avec l’Araucaria araucana, l’espèce la plus couramment plantée en Europe
– la Nouvelle-Calédonie, qui possède à elle seule 13 espèces dont A. heterophylla assez fréquent sur le littoral méditerranéen
– et l’Australie, avec A. bidwillii et A. cunninghamii formant souvent des peuplements mélangés dans la région du Queensland.

Le botaniste et explorateur anglais John Carne Bidwill le découvre en Australie en 1843. Il est le premier à envoyer des échantillons et des graines pour les jardins royaux de Kew à Londres en 1848. En l’honneur de cet explorateur, son nom est donné lors de la description de cette nouvelle espèce.
Mais pour l’anecdote, ce n’est pas Bidwill le 1er explorateur occidental à avoir découvert cet arbre incroyable. Une autre histoire s’est déroulée quelques années auparavant. En 1838, Andrew Petrie (promoteur et architecte installé en Australie) part explorer les Monts Bunya dans la région du Queensland sur la côte orientale. Pour cette expédition en terre inconnue, il est guidé par un petit groupe d’Aborigènes. C’est de cette façon qu’il est le premier à avoir découvert les forêts primaires de bunya-bunya, le nom de cet arbre en langue aborigène. Pour ce peuple autochtone, l’arbre était vénéré et ils en consommaient les graines. Mais pour Petrie, cette découverte était surtout le moyen de réaliser une belle action commerciale en exportant les graines de cet arbre inconnu. Il a pensé probablement à un joli Business plan pour sa petite entreprise de promoteur australien… Hélas, le sort en a décidé autrement… Il perd brutalement la vue au retour de son expédition ! Les Aborigènes y virent une malédiction pour le punir de ses mauvaises intentions commerciales.
Ouf ! Finalement, j’ai eu un bonne intuition de ne pas récolter de graines sur le bunya-bunya de Menton! Je l’ai à peine touché du bout des doigts pour mesurer son tour de taille, promis rien de plus… J’espère ne pas avoir déclenché la terrible malédiction de Petrie… 😉 Je sais que les sorciers aborigènes sont très puissants mais j’ai bon espoir qu’ils soient indulgents en lisant cet article des Têtards arboricoles et qu’ils comprendront que le chemin qui m’a mené au bunya-bunya de Menton n’était pavé que de bonnes intentions 🙂

Avant que la malédiction ne s’abatte sur moi, revenons un instant sur les fructifications aperçues dans son houppier. Il est surprenant de découvrir que le Bunya-bunya de Menton porte à la fois les floraisons mâles et femelles. Normalement, Araucaria bidwillii est soit mâle, soit femelle (espèce dioïque, comme le Ginkgo biloba). Sur les photos ci-dessous, on distingue bien au bout des rameaux les cônes ovoïdes verts ressemblant à des petits ananas qui portent les graines, ce sont les fructifications femelles. Mais on distingue aussi des connelets violacés allongés contenant les sacs polliniques, ce sont les fleurs mâles.

Les cônes (strobiles) peuvent peser plus de 5 kg et contenir une centaine de graines, dont l’aspect ressemble à nos pignons de pin parasol. Mais attention à la chute de ces gros cônes qui mettent 2 ans pour parvenir à maturité, ils peuvent représenter un vrai danger pour le malheureux badaud passant au mauvais moment. Comme le Pin de Coulter, le Pin de Bunya porte le terrible surnom « d’arbre faiseur de veuves ».

Concernant l’aspect dendrométrique, les mensurations du Bunya-buyna de Menton sont tout aussi incroyables.
En janvier 2021 la circonférence mesurée à 1,30m du sol est de 4,06m.
Sa hauteur totale culmine à 26m.
Son état sanitaire semble excellent et malgré sa présence sur la voie publique, aucune blessure n’est à déplorer à la base de son tronc. Il est néanmoins fourchu à 5m de hauteur, ces accidents de croissance provoquant des dédoublements de la tige principale sont assez rares chez les Araucarias.
Il est difficile à l’heure actuelle de le comparer avec d’autres Pins de Bunya puisque l’espèce est très rare en France ainsi que dans le reste de l’Europe.
On trouve malgré tout quelques éléments de comparaisons sur le site conifer.org.
Le plus gros Bunya Pine connu à ce jour aurait été mesuré en 2011 avec un diamètre de 2,15m (6,75m de circonférence). Bien qu’il soit en Australie, il s’agit d’un arbre planté hors de son milieu naturel et âgé de seulement 150 ans. Le plus haut Bunya Pine mesure quant à lui 51,5m (en 2002), il a été enregistré dans un peuplement naturel des Bunya Mountains en Australie. En revanche, on ne connait pas précisément l’âge maximum que peut atteindre l’Araucaria bidwillii, certains exemplaires auraient plus de 300 ans dans son aire naturel. Les plus vieux A. bidwillii plantés en Europe ont environ 150 ans.
Du côté du site Arbres Monumentaux, on retiendra surtout deux magnifiques Bunya-bunya plantés dans des collections botaniques au Portugal et en Italie présentant une circonférence supérieure à 6m et une hauteur maximale de 33m.
Pour le moment, aucun autre Bunya-bunya que celui de Menton a été enregistré en France. L’espèce est effectivement très rare et réservée à une étroite frange du littorale du sud-est méditerranéen. Néanmoins, on peut en découvrir un très bel exemplaire à la Villa Thuret (Antibes) et dans le Parc Phoenix à Nice. Et selon les informations d’Aurélien, un bel exemplaire (circonférence estimée à 2,50-3m) est également visible dans le parc de la Collectivité territoriale de Corse à Ajaccio.

Alors, avis aux chasseurs d’arbres qui ne craignent pas la malédiction des sorciers aborigènes, il est temps de répertorier et d’apporter de nouvelles mesures de référence pour cet étonnant Araucaria. 🙂

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15 réflexions sur « Le Bunya-bunya de Menton (Alpes-Maritimes) »

  1. quel exotisme en ce week end hivernal !
    et ce à quelques centaines de km de chez nous…
    si j’ai bien tout compris ces dames peuvent se promener impunément au pied des Coulter et des Bunya-bunya puisqu’ils sont connus pour ne faire que des veuves 😉

    • Oui Pat’, seuls les hommes reçoivent les cones sur la tête.
      Mais c’est à cause de leurs femmes qui leur demandent d’aller chercher des champignons sous les Pins de Coulter et les Bunya-bunya… à croire qu’elles cherchent à se débarrasser d’eux, lol
      😉

        • Ce sera l’occasion d’une émission spéciale « Faites entrer l’accusé » pour dénoncer toutes ces veuves joyeuses et richissimes sur la Riviera qui pensaient avoir réalisé le crime parfait en envoyant leurs maris chercher les champignons sous ces arbres.
          Voila une nouvelle mission pour le Castor masqué 😉

  2. Cher Castor Masqué,
    Merci pour ce reportage sur le Menton « sub-tropical » avec toujours de belles photos à la clef. J’ai cherché un peu et trouvé d’autres beaux spécimens sur la Côte d’Azur. Un exemplaire de 26m et 303cm (mesure d’il y a 20 ans) pousse dans la fameuse villa Les Cèdres de St Jean Cap Ferrat. Celui de la Villa Thuret à Antibes mesurait 29m et 330cm à la même époque. Un troisième planté en 1911 à la Villa Île de France à St Jean Cap Ferrat. Un quatrième au Parc Vallombrosa à Cannes de 20m. Toujours à Cannes un cinquième à la Résidence St Michel Valetta, de 22m. Un sixème au Domaine du Rayol dans le Var (je ne possède pas ses mensurations).
    A signaler aussi dans cette région au climat béni des dieux, dans le jardin de l’ex Léonina à la Petite Afrique, un manguier et un carambolier qui donnent des fruits jamais obtenus aux Cèdres.
    Bonne journée. Yves

    • Wahouu je n’imaginais pas qu’il y ait tant de bunya-bunya déjà répertoriés sur la Côte !
      Merci Yves pour toutes ces indications dont les mesures demandent effectivement à être réactualisées. 🙂 🙂 🙂
      Toujours cette richesse incroyable dans ces grands domaines historiques de la Côte d’Azur, malheureusement pas toujours facilement accessible pour le simple passionné arboricole.
      ça faisait plus de 10 ans que je n’étais pas repassé à Menton et j’ai vraiment été impressionné par tout ce potentiel de végétation exotique installée en pleine terre. Ce n’était qu’un passage éclair qui ne m’a pas permis de faire la tournée des grands jardins anglais (d’ailleurs fermés actuellement avec le Covid), une occasion d’y revenir pour mieux apprécier toute cette richesse insoupçonnée sur notre Côte méditerranéenne.
      J’ai une petite série d’articles spécial « Méditerranée » à publier sur le blog, le prochain devrait vous enthousiasmer Yves car il est dédié à votre espèce préférée 😉 A suivre !

      • Bonjour Aurélien,
        Mes parents s’étant installés à Nice dans les années 50, j’ai eu la chance de connaître cette région à une époque où il restait encore de belles choses sur le plan naturel. A titre d’exemple la maison de mes parents, à l’époque, était située au nord de Nice, et ce qui est aujourd’hui le boulevard Gorbella (avec le stade de foot) était alors…. des cressonnières, juste au nord de la maison ! Aujourd’hui, tous les terrains sont construits jusqu’au sommet des collines environnantes ! Et la maison de mes parents est maintenant au centre de Nice.
        Sur la côte d’Azur, mais aussi côté italien, les Anglais ont créé de splendides jardins dès la fin du 19e siècle où ils ont essayé l’introduction d’une quantité incroyable de plantes, et en particulier d’arbres, subtropicales. J’ai eu la chance de pouvoir visiter bon nombre de lieux magiques sur les plans botanique et paysager, il y a cinquante ans.
        Depuis la situation s’est fortement dégradée avec l’apparition d’investisseurs privés et de fonds de placement (quand ce n’est pas de maffieux cherchant à blanchir de l’argent sale). Le prix du terrain a alors grimpé en flèche pour atteindre des sommes tellement astronomiques que la valeur du patrimoine naturel en est devenu dérisoire. Des spécimens d’arbres remarquables ont progressivement disparu.
        Si vous voulez voir à quoi pouvait ressembler la côte française, dépêchez-vous d’aller voir du côté italien où, paradoxalement, le béton et les destructions ont moins sévi. Mais que fait la mafia italienne …….
        Yves

        • Ah oui en effet depuis les années 50, on ne peut qu’imaginer le changement dont vous avez été témoin. Vu mon jeune âge (28 ans), je suis obligé de consulter les anciennes images aériennes du Géoportail IGN pour constater ces phénomènes d’urbanisation dont vous parlez, bien que ça ne remplace pas ce que vous avez pu voir de vos propres yeux.
          Visiter un jardin à l’Anglaise riche en espèces subtropicales une première fois, puis 50 ans plus tard, ce doit être tanto génial de pouvoir y observer le développement de certains arbres qui doivent pousser vite, mais tanto difficile de constater que d’autres ont disparu.
          Dans le cas du Bunya bunya de Menton, ce doit être amusant d’imaginer la surprise d’une personne qui a connu cet arbre dans son écrin autrefois (dans un beau jardin à l’Anglaise) et qui le redécouvre aujourd’hui entouré de bitume sur le trottoir d’une rue.

          • Bonsoir Yves,
            je ne savais pas que vous aviez des origines niçoises et j’imagine bien comme il doit être difficile de reconnaitre cette ville 50 ans plus tard… J’ai aussi un attachement tout particulier pour cette belle ville de Nice, un petit bout de France vraiment à part mais malheureusement beaucoup trop convoité pour avoir réussi à la préserver…
            Mais c’est un peu tout notre littoral méditerranéen qui subit cette même pression immobilière. Côté languedocien c’est arrivé plus tard, mais les résultats sont tout aussi catastrophiques. En 20-30 ans Montpellier s’est totalement métamorphosé et la ville continue à s’étendre à une vitesse hallucinante… et rien ne semble pourvoir arrêté sa progression… et certainement pas une collection arboricole remarquable qui se trouveraitsur son chemin.

          • @ Aurélien : merci pour tes commentaires.
            Concernant l’historique du bunya-bunya de Menton, j’ai tenté de remonter le temps avec ta méthode décrite de photos anciennes et je me suis aperçu que le parc privé où il se trouvait à l’origine a disparu depuis déjà bien longtemps, vers les années 50 et l’immeuble plutôt cossu (Le Minerve) installé à sa place date du début des années 60. Le parc semblait assez petit, certains arbres remarquables ont forcément disparu, mais de l’autre côté ils ont conservé une minuscule portion transformée en parc public.

  3. Merci Castor pour cette découverte et cette touche d’exotisme.
    T’inquiète pas les sorciers aborigènes ne peuvent rien contre les castors…
    Eric.

  4. Bonjour !
    Effectivement le plus grand bunya-bunya (Queensland, 2002 ou 2003) fait 51,5 m, mais j’ignore la méthode de mesure. Un spécimen de la vallée de Canas, près de Coimbra (Portugal ; 2017), mesuré au Nikon, culmine à 49,4 m, et j’ai lu quelque part qu’il en existerait d’environ 60 m (!) dans ce même secteur. Avis aux amateurs !…

    • Merci Dominique pour ces précisions sur les hauteurs et pour la confirmation de cette hauteur maxi actuellement connue pour cette essence.
      Effectivement il est fort probable que dans des conditions particulièrement favorables, comme on peut souvent les trouver au Portugal (n’oublions pas que le plus grand arbre d’Europe est un eucalyptus planté au Portugal 😉 ), la barre des 50m pourrait être franchie.
      Par contre les conditions sont souvent nettement moins favorables sur notre zone méditerranéenne où les hauteurs vertigineuses sont très rarement atteintes. Il sera surement difficile de trouver sur ce littoral méditerranéen des bunyas-bunyas de plus de 30-35m.

  5. Bonjour Castor, bravo pour cette extraordinaire découverte ! En plus de nous présenter une essence très rarement inventoriée, tu nous dévoile un sujet aux proportions géantes, ce qui fait que tu places la barre très haut pour les autres chasseurs d’arbres !

    Ton article est très plaisant à lire, tant sur l’arbre en lui même, que sur l’origine de l’essence, ainsi que l’anecdote avec les aborigènes 🙂

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