Les vieux peupliers de Chautagne (Savoie)

C’est bien connu, « les apparences sont souvent trompeuses… »

Qui pourrait croire par exemple que la plus grande peupleraie de France se trouve dans le Massif des Alpes ?
Et pourtant, c’est la vérité !

A l’embouchure du Lac du Bourget s’étale une peupleraie de 750 hectares d’un seul tenant formant la Forêt Domaniale de Chautagne.
Une forêt, aux allures de parcelles agricoles, totalement dédiée à la culture du peuplier où depuis près de 100 ans se succèdent des plantations intensives monoclonales coupées tous les 15-20 ans.
C’est sûr qu’au premier abord, ce n’est pas franchement le lieu rêvé pour se ressourcer en forêt…
Par contre en se rapprochant du lit du Rhône, on pénètre dans des zones nettement plus sauvages où subsistent encore les reliquats d’une forêt ripisylve (presque) naturelle, cette fois tout à fait propice à la découverte d’arbres remarquables 🙂

Avant de présenter les peupliers sauvages qu’il est possible de découvrir en bordure du Rhône, revenons un instant sur cette forêt publique unique en France. Il est vrai que son allure de forêt industrielle ne correspond pas aux idées et ambitions écologiques que nous portons actuellement sur notre environnement. Mais avant d’apporter un regard critique, il faut se remettre dans le contexte de l’époque et pour cela remonter aux origines, il n’y a pas si longtemps au début du XXème siècle. A l’origine, il n’y avait rien ! Rien d’autre qu’un marais insalubre, infesté de moustiques et impropre aux cultures… une vraie calamité pour les habitants du bord du lac. Même Shrek n’aurait pas voulu y vivre ! 😉
Alors, lorsqu’en 1936 les travaux d’assainissement et de plantations débutent dans le marais, la population y voit une véritable aubaine de valoriser cette terre inculte. Cette vocation de forêt industrielle se poursuivra jusque dans les années 80. Eh oui, autre temps, autre mœurs… de nos jours la conscience écologique pour ces zones humides a modifié quelque peu la gestion de cette forêt qui s’est diversifiée avec l’introduction d’autres essences forestières (avec plus ou moins de succès il faut le reconnaitre…). Ce vaste espace boisé est également un formidable refuge pour la biodiversité et a même permis la réintroduction du castor. Malheureusement ce gros rongeur est toujours aussi difficile à observer malgré tous les troncs rognés, les huttes et barrages qu’ils laissent dans son territoire.

Donc pour résumer, ceux qui veulent débusquer du castor devront longer patiemment les 40 km de fossés qui quadrillent la forêt domaniale et ceux qui veulent dénicher des vieux peupliers devront se rapprocher du Rhône, dans cette bordure de forêt acquise par la CNR, la Compagnie Nationale du Rhône, chargée de préserver les berges du grand fleuve.

C’est près des Iles de Vions, dans un mélange d’espèces forestières feuillues formant une forêt alluviale assez sauvage (et donc difficilement pénétrable 😉 ) qu’il est possible de faire de belles rencontres arboricoles. Comme ce vénérable Peuplier noir qui a réussi à faire sa place parmi ses frères et sœurs depuis probablement plus d’une centaine d’années. Avec un tour de taille de presque 7,50m, il est le plus gros peuplier actuellement répertorié en Savoie et fait parti des dix plus gros arbres du département.
Son état sanitaire est en revanche assez dégradé mais en lien avec un âge déjà élevé pour cette espèce.

Son tronc est magnifiquement parcouru par un impressionnant réseau de lierre.

Toujours dans le secteur des Iles de Vions, mais cette fois-ci nettement plus facile d’accès, un autre peuplier vénérable étale sa vaste ramure en bordure de la petite route menant au hameau de Mollard-Dessus (NDLR : le Mollard désigne une petite montagne en patois savoyard 😉 ).
Sa circonférence de 6,13m, tout à fait honorable, reste pourtant insuffisante pour qu’il intègre la catégorie des peupliers-colosses.
Son point fort : un atout charme indéniable! Son tronc sculpté par de profonds sillons et s’appuyant sur de puissants contreforts est recouvert de mousse et de petites fougères qui remontent le long de ses charpentières. C’est un véritable écosystème à lui seul !

Il semble plus jeune que le peuplier précédent et son état sanitaire est bien meilleur.

Ces vieux peupliers-colosses du bord de Rhône sont très rares et difficiles à dénicher de nos jours. Mais comme le montre cette carte postale du début XXème siècle, ils ont toujours été présents sur les berges du fleuve et surtout, ont toujours fasciné les populations (remarquez l’homme qui agite son chapeau au pied du colosse 🙂 ).
Merci à Tristan de m’avoir fait suivre cette vieille carte postale.

Avec la découverte des vieux peupliers se pose toujours le problème de leur identification… précise !
Par habitude (mais surtout par facilité) on a tendance à les classer rapidement en quatre catégories : Peuplier noir, Peuplier d’Italie, Peuplier blanc et un vaste groupe pour inclure tous les Peupliers hybrides cultivés en peupleraies.
Mais la réalité est bien plus subtile… Tous les peupliers s’hybrident naturellement entre eux et avec une extrême facilité ! Et l’homme profite de cette facilité d’hybridation pour créer lui-même ses propres hybrides depuis des siècles, dont il assure la propagation par bouturage (clones)… et qui iront eux même s’hybrider avec le restant de la famille des peupliers ! Le plus vieux clone issu de l’hybridation entre un Peuplier noir et un Peuplier américain (introduit en Europe) serait le clone « serotina » créé en Suisse au XVIIIème siècle. Depuis, ce sont des centaines (peut-être des milliers ?) de clones créés puis diffusés régionalement ou très largement dans le monde entier.
Dans ce contexte, face à un vieux peuplier remarquable on comprendra qu’il est quasiment impossible de connaitre réellement son « pedigree ». La simple dénomination « Peuplier noir » simplifie alors bien des choses… 😉
En matière de « Peupliers hybrides », dans le sens peupliers utilisés en populiculture intensive, les références dans nos inventaires sur les arbres remarquables sont quasi inexistantes. Ce qui n’est pas étonnant puisqu’ils sont destinés à être exploités dans des dimensions standards avant leur 20 ans et donc bien loin de nos critères de remarquabilité !
A proximité de la vaste peupleraie de Chautagne, on a néanmoins la chance de voir deux « vieux » peupliers hybrides (40-50 ans?) servant d’ombrage sur la petite plage du bord du lac à Conjux. Leur circonférence est de 4,10m et 3,69m respectivement. Mais leur état sanitaire n’est pas excellent, leur avenir semble déjà compromis…

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7 réflexions sur « Les vieux peupliers de Chautagne (Savoie) »

  1. Bonjour Castor !

    Effectivement, je n’aurais jamais pensé que le plus grande peupleraie de France se trouvait dans le massif des Alpes ! Sauf erreur de ma part, les plus gros peupliers « noirs » se rencontrent plus souvent sur le littoral non ? Ce qui fait que les sujets que tu nous présentes sont costauds, compte tenu de leur environnement.

    Concernant les sous-espèces de peuplier, je demeure incapable de différencier un peuplier blanc d’un noir dans la nature. En revanche, les trembles et les « noirs d’Italie » me posent moins de soucis, tant leur port et leur écorce sont différents. J’ai aussi entendu parler du peuplier « grisard » … un hybride entre le noir et le blanc ?

    Merci pour cette découverte 🙂

  2. Waouh ! A la lecture de ce bel article on sent bien que le Castor est dans son élément 😉
    Je pense que Yves Maccagno va beaucoup aimer un des premiers arbres présenté, celui avec sa résille de lierre.
    Perso les peupliers ne me branchent pas trop… mais j’ai un préférence pour les blancs qui nous offrent de si belles couleurs automnales.
    😉

  3. Au top, comme d’hab.
    Dommage qu’il n’y ait personne au pied de ces arbres histoire de bien se rendre compte des dimensions. Bon pour nous autres chercheurs d’arbres c’est comme pour Néo dans matrix: un coup d’oeil dans le code suffit à nous émoustiller. 7,50 ça nous parle. Mais pas certain que madame Michu se rende bien compte de ce que ça représente (allez Castor, un p’tit trépied dans le sac à dos et c’est réglé).

    Question détermination, personnellement après des années de terrain et de lectures acharnées je reste toujours aussi ignorant/indécis face aux peupliers noirs, exotiques et leurs hybrides. Frustrant.
    Trucs et astuces bienvenus.

    Concernant Populus x serotina, Pierre Lieutaghi évoque une apparition des premiers hybrides vers 1600 (mais sans plus de précisions).

  4. Merci pour vos commentaires 🙂

    Ne vous prenez pas trop la tête avec la détermination (précise) des peupliers, c’est peine perdue… 😉 Il est plus raisonnable (et plus sain pour l’esprit 😉 ) de se limiter à :
    – petites feuilles triangulaires -> Peuplier noir
    – forme fastigiée ou fuseau -> Peuplier noir d’italie
    – grosses feuilles (parfois géantes) et plantés en peupleraie -> Peupliers hybride probablement croisement entre peuplier noir et américain (X euramericain ou X canadensis) ou hybride entre les deux espèces américaines (x interamericain)

    Les peupliers blancs se reconnaissent assez bien mais effectivement on peut avoir des individus intermédiaires issus du croisement avec Peuplier noir -> Peuplier grisard

    Tu as raison Tristan, il me manque souvent un repère à coté des arbres photographiés… j’ai bien la fonction retard sur l’APN, mais j’ai pas le courage de me trainer un trépied alors parfois j’essaie de le poser sur un support naturel à proximité quand c’est possible mais j’avoue que ce n’est pas pratique.

  5. L’identification des peupliers est délicate, pas super documentée et puis il y a ces dizaines et ces dizaines de clones utilisés en populiculture mais qu ‘on retrouve ça et là plantés en isolé. De fait, ils sont souvent absents des inventaires des arbres « remarquables ». Perso j’ai essayé de « détricoter » les clés d’identification pour tenter de mettre un nom sur les peupliers que je croise. Dans la pratique il est impératif de mixer l’observation des rameaux, bourgeons et des feuilles avec notamment la présence (ou non) de glandes à l’intersection du pétiole et du limbe et son bord avec une fine bande translucide ou pas…. on arrive ainsi à en ranger certains dans des groupes d’hybrides mais il est impossible de descendre jusqu’au niveau du cultivar tant ils sont nombreux et proches les uns des autres.

    • Merci Fred pour ces précisions botaniques qui peuvent donner quelques pistes supplémentaires dans le micmac de l’identification des peupliers.
      🙂

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