Chênes sacrés de la Forêt de Chaux (Jura)

Les forêts du Jura ne se limitent pas aux sapins géants des hauts plateaux !
Dans la plaine de Dole, le long de la vallée du Doubs, la vaste Forêt de Chaux est tout aussi réputée. Cette forêt immense, de plus de 20 000 hectares, cumule tous les superlatifs. C’est l’une des plus grandes forêts feuillues de France, couverte essentiellement de chêne.
« Immense », c’est souvent la première impression ressentie par tous ceux qui la découvre. L’absence de relief accentue ce sentiment d’immensité et de solitude que l’on ressent. Attention, vous risquez d’avoir un grand moment de solitude en empruntant la route du Grand Contour tracée au cordeau sur 30 km.
Mais c’est surtout une forêt très ancienne dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Une forêt nourricière pour les hommes où depuis le Moyen-Age, toute une population vit et dépend pour sa survie de la forêt de Chaux. Les Gens de Chaux, comme on les appelle, ont trouvé dans ce massif une source inépuisable de charbon de bois pour alimenter les forges, les verreries et la Saline royale d’Arc-et-Senan placés stratégiquement à la périphérie.
La Forêt de Chaux, c’est avant tout une histoire humaine ! L’empreinte de l’homme est partout présente dans ce massif aux apparences pourtant sauvages. Dans ce contexte, les rites et croyances associant des arbres ont toujours existé dans l’imaginaire des habitants de Chaux. Certaines pratiques rituelles liées à des chênes sacrés sont encore présentes.

Les Chênes à vierge

De nos jours, il y aurait encore six (peut-être sept ?) Chênes à vierge en Forêt de Chaux… mais je n’ai retrouvé la trace que de quatre d’entre eux.


Petit rappel historique :
Le culte de l’arbre et tout particulièrement des chênes remontent aux peuples celtes. Au moment de la conversion de l’empire romain au christianisme, ces arbres vénérés représentaient une gêne pour la nouvelle religion et ont souvent été abattus ( c’est 
le concile de Leptines, en 744 sous Charlemagne, qui interdit officiellement le culte des arbres et ordonne l’abattage des chênes). Mais les cultes et croyances étant tenaces dans nos campagnes, un compromis sera progressivement accepté. Les arbres vénérés vont se transformer en arbres sacrés christianisés en leur associant des oratoires ou en accrochant directement des statuettes de la vierge.
Cette pratique des chênes à vierge a été très répandue en Franche Comté et a même été représentée sur certains tableaux de Gustave Courbet.


Le plus célèbre des Chênes à vierge de la Forêt de Chaux est le Chêne Notre Dame, placé à la sortie du village de Falletans juste à l’orée de la Forêt… comme un symbole ou un avertissement pour le pèlerin entrant dans le massif.
Il est considéré comme le plus vieux chêne de la Forêt de Chaux. Son âge estimé de 500 ans semble toutefois un peu exagéré… Sa circonférence à 1,30m de 5,02m (Juillet 2017) ne correspond pas à celle d’un chêne cinq fois centenaires.
Son état sanitaire est assez dégradé et on remarque de nombreux dessèchements inquiétants dans son houppier.
Selon la légende, il aurait déjà avalé plusieurs vierges (des statuettes, pas des jeunes filles 😉 ) ce qui lui donne cet aspect tout boursouflé.

Le Chêne à vierge de la seconde colonne (ces colonnes, appelées « Colonnes Guidon » ,servent de repère sur la route transversale et sont au nombre de 8) est le plus récent. Selon un rituel parfaitement orchestré, une petite statuette a été placée au cœur de son tronc à 3m de hauteur en 1993. Il a été baptisé Chêne Notre Dame de Chaux.
C’est assurément une marque de prestige et de reconnaissance pour ce chêne. Mais le pauvre arbre n’en demandait peut-être pas tant… Il a réagit vigoureusement en produisant une loupe (une protubérance) pour tenter de boucher cette plaie béante. La loupe a été enlevée rapidement par les forestiers mais une seconde a repoussé au même endroit masquant en quelques années la loge de la vierge. A voir la photo datant de 2015 sur le blog « Balades Comtoises ».
En mars 2021, la circonférence à 1,30m du Chêne Notre Dame de Chaux mesure 4,09m et son état sanitaire est très dégradé (la cavité creusée dans son tronc n’est surement pas étrangère à son état de santé…).
On remarque de nombreuses offrandes déposées au pied du chêne, signe d’une fréquentation assez élevée près de cet arbre vénéré.

A noter également juste de l’autre côté de la route forestière, un majestueux Poirier (circonférence = 3,08m) planté au moment de la construction de la Maison forestière du Temple, il y a 150 ans.

Le Chêne Notre Dame des Potiers, à l’orée de la forêt en sortant du village d’Etrepigney. Il est le point de départ d’un sentier de découverte, le Sentier du Guêpier.
Ce chêne à vierge d’apparence assez jeune est en fait lié à une très longue tradition perpétuée par les habitants d’Etrepigney. Il a été désigné le 14 mai 1994 et succède à un chêne sacré mort en 1940. Par tradition, la vierge installée dans ces chênes sacrés sont des statuettes en terre cuite qui proviennent des ateliers de poterie d’Etrepigney.
Ces vierges en terre cuite sont célèbres localement depuis l’apparition mariale survenue en 1803 près d’Ornans à une vingtaine de km d’Etrepigney. Une petite statue de la vierge en provenance des potiers d’Etrepigney avait été déposée au pied d’un chêne. Bien des années plus tard, elle a été englobée dans le tronc du chêne. En 1803, la vierge Marie est apparue à une jeune fille passant près du chêne d’où sortait une lueur vive à l’emplacement de la statuette. Mais c’est une autre histoire légendaire… à l’origine du Sanctuaire de Notre Dame du Chêne à Scey-Maisières (Doubs).


Un autre chêne à vierge est à découvrir dans la Forêt de Chaux (je n’ai pas eu le temps de lui rendre visite).
Le Chêne Notre Dame des Charbonniers, près de la Maison forestière de La Royale. Ce chêne, très gourmand, aurait déjà avalé de nombreuses vierges. Les dépôts se sont succédés obstinément en 1852, 1887, 1907, 1922. La dernière statuette déposée date du 15 août 1989, mais depuis cette date, le vieux chêne ne semble plus vouloir refermer la cavité. Cette perte d’appétit n’est pas de bon augure, ne dit-on pas « quand l’appétit va, tout va » ? Un dicton surement valable pour les avaleurs de vierges.

Le Chêne des Filles

Il ne s’agit pas d’un Chêne à vierge, mais d’une légende associée à cet arbre ou plutôt à cet emplacement situé à proximité de l’Oratoire de St Thibaud sur la commune d’Our.
Une légende vieille de 250 ans mais toujours présente dans la mémoire des habitants de Chaux. L’histoire s’est déroulée le 1er juillet 1785.
Anne et Claudine, deux jeunes filles du village de la Bretenière, se baladaient en forêt. Elles furent surprises par un violent orage et se réfugièrent sous un chêne… Je vous laisse imaginer la suite… la foudre s’abattit sur le chêne et tua les deux fillettes.
Bien des années plus tard, les parents, toujours profondément attristés, souhaitent se rendre sur le lieu du drame. Ils découvrent alors avec surprise qu’un chêne-double a poussé précisément à cet endroit. Les habitants du village y voit aussitôt la réincarnation des deux jeunes filles dans l’arbre double. C’est le début de la légende du Chêne des filles. Une croix est installée et l’arbre devient vénéré. Une légende bien tenace puisqu’il parait qu’à cet emplacement pousse toujours un chêne double.
L’histoire s’est déroulée il y a 250 ans et l’arbre actuel (bien sûr double !) doit être âgé de 50-75 ans. Je ne sais pas combien d’arbres se sont succédés à cet emplacement depuis le drame.

Le Chêne à voeux

Je ne suis pas passé voir ce chêne, voici les informations que j’ai pu recueillir à son sujet.
Ce beau chêne vieux de 250 ans est situé près du site aménagé des Baraques du 14 (reconstitution des habitats des travailleurs en forêt et de la vie rudimentaire qu’ils menaient). On le découvre en prenant un petit chemin sur la gauche de la dernière baraque. La tradition veut que l’on dépose dans une fente de son écorce un petit morceau de papier contenant un vœu. Le vœu doit être également chuchoté au chêne. Mais attention à ne pas lire les autres vœux déposés, ils seraient immédiatement annulés !
Cette tradition d’arbres à vœux, bien que très rare, existent toutefois dans d’autres régions. Par contre, l’utilisation d’un chêne serait un cas unique en France (j’attends la confirmation d’un lecteur averti à ce sujet).
Cet arbre à vœux rappelle d’une certaine façon la Boite aux lettres des amoureux du jardin botanique de Montpellier.

Le Chêne à gui

Ce chêne à gui fera l’objet d’un article prochainement sur le blog…à suivre !
Ces chênes à gui étant extrêmement rares, leur localisation est souvent tenue secrète. Mais comme celui-ci est mentionné dans une publication touristique, j’ai donc moins de scrupules à faire suivre l’information à nos fidèles lecteurs du blog.
Il est mentionné dans un circuit de découverte de la Forêt de Chaux intitulé le
Sentier du Guêpier au départ du Chêne à vierge Notre Dame des Potiers.

Il y aurait au total cinq chênes à gui répertoriés en Forêt de Chaux… leurs localisations ne sont pas dévoilées… Reste donc à parcourir les 22000 hectares pour les retrouver ! 🙂

Autres Chênes

Un vieux chêne pédonculé est mentionné sur les cartes IGN sous le nom de Chêne des Moines. Il se trouve, sans grande surprise, en bordure de la Route forestière des moines sur la commune de La Loye.
Sur place, aucun panneau ne signale sa présence, mais une petite sente à peine tracée mène au vieux Quercus.
Il affiche un tour de taille honorable de 4,56m (c’est déjà beaucoup pour un chêne forestier et ce qui laisse supposer un âge supérieur à 300 ans).
Son état sanitaire est un peu dégradé mais en relation avec son âge élevé. Il ne semble pas avoir fait l’objet de sacralisation en tant qu’arbre à vierge.

Sur la bordure Est du massif, le petit village de Courtefontaine abrite un arbre bien singulier. Il s’agit d’un Chêne planté en 1677 pour célébrer le rattachement de la Franche-Comté à la France . Son port altier et l’élagage de son tronc renforcent le sentiment de puissance qu’il dégage. Un arbre magnifique que j’ai eu la chance de découvrir au moment d’une belle éclaircie de fin de journée.
Sa circonférence prise à 1,30m du sol est de 5,09m.
Cette donnée dendrométrique associée à une date de plantation connue nous permet d’avoir une nouvelle référence sur la vitesse de croissance d’un chêne hors forêt et en port libre : 5m de tour de taille correspond dans ces conditions de croissance à environ 300 ans.

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11 réflexions sur « Chênes sacrés de la Forêt de Chaux (Jura) »

  1. Encore une fois Waouh ! quel article étoffé sur ces chênes jurassiens (?).
    J’en étais resté à la chasse aux sorcières menée par le pape et l’Inquisition à l’époque où Christophe Colomb découvrait le monde, je ne savais pas que les chênes avaient aussi souffert d’un « excès de christianisme » quelques siècles auparavant…
    Paradoxalement depuis qu’ils bouffent la représentation de la Vierge ils sont devenus sacrés ?!?! 😀
    Sinon pour en revenir aux arbres, je ne trouve pas que pour leur âge et le lieu (assez humide si je comprends bien) où ils poussent, ils aient atteint des dimensions phénoménales (en tour de taille).
    Mais peut-être est-ce dû au fait qu’ils sont en forêt où les places (au soleil) sont chères…
    J’aurais bien aimé voir le chêne à gui (c’est pas un peu trop druidique pour le pape ça ? 😉 ) va te falloir reprendre ton bâton de pèlerin Saint Castor 😉
    En tout cas Merci pour la balade !

  2. Salut Castor, Très bel article (comme tout ceux que tu nous fait partager)
    Cette fois l’arbre et l’Homme, un beau sujet qui nous replonge dans l’Histoire, les Mythes.
    De mémoire je ne connais que le ‘chêne’ à voeux de la foret de la Chaux.
    Merci.

  3. @ Pat :
    – oui, moi aussi j’étais surpris que l’abattage des arbres sacrés au début de l’essor de la religion chrétienne ait fait l’objet d’un traité officiel (je ne connaissais pas ce concil de Leptines)
    – pour les arbres avaleurs de vierge, ils doivent être forcément super sacrés, je pense que c’est un peu comme les hosties, plus tu en consommes, plus tu t’approches du bon Dieu 🙂
    – c’est vrai que les dimensions ne sont pas spectaculaires, mais c’est pour deux raisons. Tout d’abord ce sont des arbres forestiers, leur croissance est plus lente et leurs conditions de vie plus rudes. Le sol de la forêt de Chaux est également très pauvre et réputé gorgé d’eau et asphyxiant. Comme toutes les forêts de plaine, elles sont très souvent placées sur des mauvais terrains, toujours cette rivalité ancestrale agriculture / forêt, les bons sols pour la culture, les mauvais sols laissés boisés (les moines défricheurs du moyen-âge ont laissé ces grandes forêts de plaine sur les sols difficiles).

    @ Guy : content de te voir passer sur le blog, on ne te vois pas souvent ces derniers temps. Et Félicitations pour ce dernier ouvrage réalisé en commun avec Mickaël et Yannick sur les arbres du 35 🙂
    Pas d’infos sur ce chêne à gui (à Guy 😉 ) jurassien ?

  4. Bonjour à tous !

    Une belle balade dans les bois avec beaucoup d’histoires locales !!
    J’imagine facilement que parcourir de tels superficies demande de l’organisation.

    Mes préférences vont au poirier et au chêne villageois de Courtefontaine. C’est si harmonieux un arbre ancestral et du patrimoine bâti qui a le même âge et de plus, son houppier n’a pas subi les assauts de la scie mécanique.

  5. Encore une fois Castor, merci pour cet article fort bien documenté. 🙂 Quelle immense forêt !

    Et oui la transition de l’empire Romain vers le Christianisme aurait coûté la vie à beaucoup d’arbre vénérés. Ce serait l’une des nombreuses raisons pour lesquelles il n’y aurait plus de gros arbres en France m’a-t-on dit.

  6. @ Sisley : aaah toujours cette attirance pour le vieux fruitiers 😉 C’est vrai qu’il est original ce poirier et surtout inattendu dans ce massif où l’essence reine est le Quercus Jurassicus 🙂

    @ Aurélien : ces débuts du christianisme ont surement fait disparaitre de nombreux arbres anciens vénérés, mais je ne suis pas sûr que l’on en ressente encore de nos jours les effets. C’était tout de même il y a environ 1500 ans… Les arbres remarquables de l’époque devait peut-être avoir pas loin de 500 ans, et même s’ils avaient échappé au fanatisme du début du christianisme, il y a peu de chance qu’ils aient été encore en vie de nos jours… leur âge serait d’environ 2000 ans (impossible pour du chêne et même très limite pour des ifs dans le nord de la France ou des oliviers en Méditerranée).

  7. Sacrée concentration de chênes sacrés ! Jusqu’ici y a peu je n’imaginais qu’il puisse y en avoir autant sur un seul massif. J’ai aussi repéré dans les Ardennes plusieurs chênes à la vierge pour une seule forêt reste à aller les voir… Étrangement la religion décline mais le culte de certains arbres persiste, voir se renouvelle. J’ai repéré notamment dans de vieux chênes près d’une chapelle, ou de dolmens des offrandes ou de petits mots de remerciements à la Terre-Mère par exemple.

    Concernant l’abattage des arbres sacrés, début 17ième l’évêque de Rennes a ordonné l’abattage des ifs des cimetières, considérant qu’ils étaient l’objet de rites païens.

    • Oui cet attachement à la tradition des chênes à la vierge est bien tenace dans le Nord-Est et a largement dépassé le cadre de la religion.
      Sur un panneaux placé au pied d’un chêne à vierge il était précisé :
      « ce geste est plus qu’un symbole : il représente la fidélité des gens de Chaux à leurs chênes, leur terre, leur foi, et à leurs traditions venues du fond des âges ».

  8. Je suis repassé dernièrement compléter la visite des arbres sacrés de la Forêt de Chaux.
    A voir la mise à jour concernant le Chêne Notre Dame des Potiers à Etrepigney, dont les statuettes en terre cuite sont aussi l’origine d’une autre légende.

    Concernant le chêne à gui, il fera l’objet prochainement d’un article à part entière sur le blog.

    🙂

  9. En le charchant encore hier, j’ai compris que le chêne Notre Dame des Charbonniers n’est plus ! Connaissez-vous la date de sa « disparition? » C’est dommage car c’était le seul chêne sacré de la forêt de Chaux qui manquait à mon palmarès! 🙁

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