Thurifères et voies d’escalade dans le Vercors

Les Rochers de Presles forment une longue barre de falaises au-dessus des gorges de la Bourne. Des falaises calcaires réputées pour les passionnés d’escalade et dont les voies vertigineuses attirent les meilleurs grimpeurs de toute l’Europe.

Mais ce qui fait aussi la particularité des Rochers de Presles, c’est la présence exceptionnelle de Genévriers thurifères accrochés au calcaire et jouant les équilibristes au milieu des voies d’escalade. Une présence végétale bien plus ancienne que la pratique de l’escalade et qui parvient à se faire respecter dans le petit monde des grimpeurs grâce aux efforts d’une association locale qui a su faire prendre conscience de la fragilité de cet écosystème si particulier.

Sur les Rochers mythiques de Presles, les grimpeurs ne sont pas seuls a évolué dans ce monde vertical…

Ces dernières années, les passionnés d’arbres ont pris l’habitude de s’extasier devant les fabuleux Genévriers de Phénicie multi-séculaires nichés sur les falaises calcaires du Sud de la France. Considérant même ces sylves verticales comme les dernières « forêts vierges » d’Europe.
Mais ici, sur ces rochers du Vercors où passe le 45ème parallèle, à la limite entre le Grand Nord et le Sud, le Genévrier de Phénicie a cédé sa place à un autre arbre équilibriste, le Thurifère.
Il faut tout de même savoir que dans la grande famille des Juniperus, le montagnard c’est lui, le Genévrier thurifère ! Un montagnard aguerri, mais avant tout un méditerranéen et dont la zone de prédilection se trouve dans les Hautes-Alpes vers Embrun et Guillestre. C’est d’ailleurs le peuplement millénaire de St Crépin qui a contribué à la légende de cette espèce en France, devenue depuis de nombreuses années le symbole des espèces méditerranéennes en danger.
De rares stations à Thurifères ont également été signalées par les botanistes hors des Hautes-Alpes, dans les Baronnies en Drôme provençale mais aussi dans la région grenobloise qui représente la limite septentrionale de son extension.
Plusieurs thurifères ont d’ailleurs été relevés dans le cadre de l’inventaire mené dans l’agglomération grenobloise depuis 2014 :
– sur le Rocher de Comboire au sud de Grenoble (commune de Claix) se trouve une belle concentration de thurifères à une altitude voisine de 500m. Un site protégé et accessible uniquement aux grimpeurs. Pour info, une via cordata traverse le Rocher de Comboire et permet d’observer au plus près ces résineux nanifiés.
– dans le passage étroit dit de « La Cheminée » (commune de Voreppe à 925m d’altitude dans le Massif de la Chartreuse) on trouve un joli Genévrier thurifère isolé sur son rocher.
Mais de toute évidence, les plus beaux et les plus vieux spécimens de thurifères isérois se trouvent sur les falaises sud du Vercors dans le secteur des grottes de Choranche.

Il faut reconnaître que l’habitat spécifique du thurifère le rend difficilement observable et il passe le plus souvent totalement inaperçu aux yeux des randonneurs avançant tête baissée sur les chemins aériens du Vercors. Il faut donc véritablement tomber dessus pour remarquer un thurifère dans son environnement ! 
C’est le cas de ce bel exemplaire au bord du sentier montant au Pas du Ranc. Un petit replat sous falaise permet de s’en approcher aisément… mais toujours avec la plus grande prudence (attention à l’excès d’enthousiasme au moment de sa découverte qui pourrait nous faire oublier que le moindre faux pas pourrait être fatal 😉 ). Une observation minutieuse reste toutefois indispensable pour confirmer qu’il ne s’agit pas de son cousin le Genévrier de Phénicie mais bien d’un thurifère (en l’absence de fructification, la distinction entre les deux espèces n’est pas évidente).
Multi-troncs dès la base, sa circonférence n’est pas mesurable. Sa hauteur totale est d’environ 5m.
Un autre joli thurifère plus petit pousse à proximité.
Altitude 750m.

Je ne m’attendais pas à découvrir cette espèce dans ce secteur du Vercors… alors forcément, après la découverte de ce 1er thurifère, j’ai observé attentivement la paroi à la recherche d’autres individus accrochés aux falaises de Presles.
Mais il faut admettre que l’espèce ne forme pas ici une population très abondante. Les thurifères restent rares et dispersés sur quelques fissures et replats de la falaise.
Un exemplaire présente toutefois des dimensions nettement supérieures aux autres avec une circonférence qui pourrait être estimée à environ 1,50m et une hauteur totale de 4m. Il pousse sur une petite vire à une vingtaine de mètres au-dessus du sentier (altitude 845m). Mais ce qui est également très curieux, c’est qu’une voie d’escalade semble avoir été ouverte pour accéder spécifiquement à ce vénérable thurifère. Une voie équipée de pitons et corde pour s’approcher du thurifère, ainsi qu’une autre corde pour la descente en rappel.
Malheureusement je n’étais pas équipé pour jouer au castor-perché et m’approcher du « Thurifère cordé »… peut-être pour une prochaine fois 🙂

De retour à la maison (sain et sauf 🙂 ), j’ai bien-sûr voulu en apprendre davantage sur ce « Thurifère cordé ». Il me semblait évident qu’il serait mentionné dans un topo présentant les voies d’escalade de Presles. Et c’est tout naturellement que je suis tombé sur le site d’une petite association ayant en charge la gestion et la protection de l’escalade des Rochers de Presles : VTMO
Une association très active sur ce site d’escalade emblématique qui considère que « la falaise est «vivante» et sa structure évolue, il faut donc régulièrement purger et nettoyer le rocher ou remplacer des points d’ancrage« . Mais VTMO est également très sensible à l’environnement particulièrement fragile de son terrain de jeu. Les adhérents considèrent « qu’ils ont aussi un rôle de « veilleurs » quant à la faune et la flore des falaises. Sensibilisés par des documents pédagogiques édités en collaboration avec le CD38 et le PNRV, ils font remonter des informations à propos des espèces protégées qu’ils peuvent observer » .
Sur leur site web, deux documents à télécharger à l’usage des grimpeurs pour préserver la faune (tout particulièrement la nidification des oiseaux) et pour la préservation des espèces végétales. Une page entière est consacrée au Genévrier thurifère avec cette recommandation spécifique : « ne pas tronçonner au pied des voies, éviter l’enserrement de l’écorce par une corde fixe« . On y apprend également qu’il ne faut pas s’étonner de trouver des Thurifères coupés à la hache sur les vires car ils étaient utilisés au XIXème siècle dans la contrebande d’allumettes !!!
En revanche, après un échange par mail avec l’un des membres du bureau de l’association, aucune information supplémentaire n’a pu être apportée sur ce « Thurifère cordé ». Ce secteur à l’Est du Pas du Ranc n’est pas ou peu équipé en voies d’escalade. Il semblerait donc que l’ouverture de la voie menant à ce Thurifère ne soit pas inscrite dans les voies d’escalade « officielles » du site mais correspondrait à une installation dans un intérêt purement botanique et d’observation du vénérable Juniperus.
A noter aussi qu’il existe une voie d’escalade portant le nom de « Thurifère solitaire« . Une voie qui passe à proximité d’un autre genévrier (arbre mort dont il ne reste que le squelette) et qui fait l’objet de l’admiration des grimpeurs.

Petit clin d’œil arboricole : lors de la projection du son et lumière dans les Grottes de Choranche, l’arbre apparait comme le symbole de la vie dans ces falaises calcaires…
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7 réflexions sur « Thurifères et voies d’escalade dans le Vercors »

  1. Encore un article très intéressant du Castor Masqué ! D’autant plus que dans les gorges du Gardon se pose le problème de l’entretien des très nombreuses voies d’escalade et de la préservation des « forêts » de genévriers de Phénicie. L’exemple de cette association du Vercors devrait servir à sensibiliser les Gardois.

  2. Oui, cette petite association a tout compris !
    Belle approche de sensibilisation sur cet environnement si particulier et ultra fragile… où l’équilibre ne tient parfois que par un fil 🙂

    Petite précision, le site des Rochers de Presles se trouve dans le Parc naturel régional du Vercors et donc avec un règlement très précis pour limiter l’impact de l’homme sur la nature.

  3. Sacrément robustes ces genévriers ! Je découvre de plus en plus cette essence quasi absente chez moi dans la Vienne. Pourtant, nous avons quelques (rares) falaises mais souvent colonisées par de feuillus comme du chêne ou des érables champêtres.
    Merci pour cette découverte 🙂

  4. Merci pour vos commentaires 🙂

    Aurélien, je crois que tu peux raisonnablement arrêter d’espérer trouver du thurifère dans le département de la Vienne 😉 il faut absolument que tu choisisses les Hautes-Alpes pour tes prochaines vacances, véritable paradis du Mélèze, de L’Arolle et du Thurifère 🙂 🙂 🙂 Ou peut-être attendre la migration naturelle de l’espace vers l’ouest avec le changement climatique… au mieux (ou au pire…) il devrait arriver dans les falaises de la Vienne dans quelques centaines d’années…
    Le thurifère est aussi présent hors des Alpes, il existe quelques populations dans les Pyrénées centrales.

    @ Eric, c’est plutôt en « Aigle masqué » qu’il faudrait arpenter ces falaises 🙂
    Le chamois est bien présent dans ce secteur du Vercors et il est bien plus agile que le bouquetin (pas sûr qu’il soit dans ce secteur en bordure de la forêt de Coulmes) . C’est d’ailleurs parfois hallucinant de voir où passent les chamois sur certaines vires au milieu des falaises, je suis sûr qu’ils connaissent des supers spots à thurifères ! Il faut que je fasse copain-copain avec les chamois 🙂

  5. Bonjour à tous.

    Nous retournons aux origines de la découverte entre parois et cavités et quoi de mieux que d’y croiser de gros bonsais multi-séculaires.
    Un bien bel article !

    Les prises de mesures deviennent ici très professionnelles et demandent une dextérité hors normes 😉

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