J’ai profité d’être en transit par le Berry pour faire quelques haltes arboricoles. Et pour assouvir ma quête de beaux ligneux, j’utilise un outil précieux : la carte des arbres labellisés de l’Association A.R.B.R.E.S.
Certains d’entre eux se trouvent sur des propriétés privées et leur visite ne peut se faire sans la permission des propriétaires. Mais au Château de La Motte-Feuilly, la chance m’a souri ! Les deux jardiniers s’activant sur ce vaste domaine m’ont laissé gentiment vadrouiller dans le parc avec ma sacoche du parfait chasseur d’arbres.
La région possède un incroyable gisement de châteaux et monuments historiques. Celui du minuscule village de La Motte-Feuilly, n’est pas le plus spectaculaire, ni le plus ancien et encore moins le plus réputé. Malgré tout, ce château berrichon présente un grand intérêt pour les historiens de la région… et pour les passionnés arboricoles que nous sommes, le parc offre une curiosité bien singulière.
Je n’ai pas eu à chercher bien longtemps, l’objet de ma convoitise trône fièrement au milieu d’une pelouse du domaine. Je ne suis pas habitué aux vieux ifs dans mon secteur du sud-est de la France. Les Ifs antiques sont une spécialité du nord-ouest et de la façade atlantique.
Sous son épais feuillage, il est difficile de bien distinguer son tronc. La base du pied n’est qu’une masse sombre aux allures gigantesques, éléphantesques, disproportionnées… Cette vision me laisse perplexe quelques secondes mais en s’approchant progressivement de la « bête », la forme se dévoile et laisse apercevoir une étrange combinaison minéralo-végétale. L’arbre émerge d’un tas de cailloux ! Les tiges de l’if semblent posées dans un vase de pierre. Quelle surprise ! J’examine cette curiosité sous tous les angles, cherchant une ouverture dans ce tumulus, une explication à cette étrange association. Les blocs de pierres sont scellés entre eux et forment un petit dôme d’une quinzaine de mètres de circonférence. J’écarte rapidement l’idée que l’if ait poussé directement au milieu de cet édifice, mais je pense plutôt que ce tas de pierres a été soigneusement disposé au pied de l’arbre. Mais pour quelle raison ? Etrange… Je n’ai aucune explication à apporter.
Sur le coup, je ne m’en inquiète pas, il suffira de demander aux jardiniers tout à l’heure ou au pire de faire une recherche sur internet !
Malheureusement, le mystère reste toujours intact. Les jardiniers, pourtant présents sur le domaine depuis de nombreuses années, n’ont pas la moindre idée de l’origine de cet étrange tas de cailloux. Et mes recherches sur internet n’aboutiront à rien de concret. Pourtant, le Château est assez connu et a fait l’objet de plusieurs publications mais sans jamais mentionner cette bizarrerie…
Même George Sand, la « régionale de l’étape », a utilisé le cadre de ce vieux château dans l’un de ses romans. Elle fait allusion à cet if de cette façon : « L’if monstrueux, qui date du temps de Charlotte d’Albret, appuie ses vénérables segments affaissés sur des quartiers de roche pieusement disposés pour soutenir sa monumentale décrépitude. »
Joliment dit, elle aurait certainement fait un excellent « Têtard Reporter » ! La description est courte mais suffisante pour nous donner un précieux indice en utilisant l’expression « pieusement disposés ». On peut donc supposer que ce tas de cailloux pourrait être en lien avec un édifice religieux… peut-être un ancien oratoire effondré ? Mais toutes les hypothèses restent possibles et j’espère que cet article permettra de recueillir de nouveaux indices sur cette étrange curiosité…
A moins que George Sand ne fasse allusion aux supports installés sur toute la périphérie pour soutenir l’épaisse ramure du Taxus. Actuellement ils sont composés de solides pieux de robiniers mais peut-être qu’à son époque, la configuration était différente.
Voici une très ancienne gravure l’if de La Motte-Feuilly réalisée à une date inconnue et curieusement aucun édifice ne se trouve à son pied. Un dessin troublant qui nous enfonce un peu plus dans le mystère de cet if.
Et voici une carte postale qui doit probablement dater de la première moitié du XXème siècle. On ne remarque pas beaucoup d’évolution par rapport à son état actuel. Le tas de pierre était déjà bien présent.
Avec son pied massif et sa couronne de branches, cette masse végétale énorme ressemble à un champignon géant… mais vénéneux ! Chez l’if, toute la plante contient un puissant poison à l’exception de la partie charnue du fruit (l’arille). A La Motte-Feuilly, cet if monumental est un pied femelle.
Son âge réel reste aussi un mystère et il serait osé de se lancer dans une estimation en se basant uniquement sur son développement actuel. Il est réputé pour être le plus ancien de la région Centre. Certains le considèrent comme un arbre millénaire, mais on lui donne généralement un âge compris entre 600 et 800 ans. On prétend même que Jeanne d’Arc se serait assise sous l’If de La Motte-Feuilly… Les légendes de ce style sont fréquentes chez les vieux arbres. C’est une habitude tenace, en lien certainement avec St Louis et son chêne, de vouloir associer un personnage historique à un arbre remarquable
Le parc du château présente d’autres jolis trésors arboricoles.
A commencer par ce bel alignement de huit Tulipiers de Virginie qui doit illuminer la façade du Château d’une belle couleur d’or à l’automne.
En novembre 2015, la circonférence du plus gros tulipier mesurée à 1,3m de hauteur est de 4,42m. Sa hauteur prise au dendromètre suunto et au télémètre est de 38m.
Note du 17 aout 2020 : Ce magnifique alignement de Tulipiers a reçu le label Arbre Remarquable de France le 16 aout 2020.
On peut signaler également la présence d’un spectaculaire Pin noir d’Autriche isolé au milieu d’une pelouse. Une fourche haute a permis à ce vénérable pin d’atteindre une circonférence exceptionnelle.
En novembre 2015, son tour de taille pris à 1,3m est de 4,49m et à 1,50m du sol de 4,46m.
Sa hauteur en revanche est plus habituelle : 31m. Son état sanitaire est excellent.
J’aurai pu me satisfaire de ces belles rencontres pour étancher ma soif de chasseur d’arbres mais il manquait à mon tableau de chasse la mesure d’un if remarquable. Celui du tas de pierres n’étant pas mesurable, je continuais alors à vadrouiller sur le domaine à la recherche d’un nouveau trophée.
Foi de Castor, pas question que je rentre bredouille en matière de Taxus ! Finalement je trouve mon bonheur en bordure du parc avec un joli pied femelle : 4,70m de circonférence à 1,3m de hauteur. Une dimension très éloignée des records déjà enregistrés pour cette espèce mais qui, à mes yeux de rhône-alpin, reste exceptionnelle (à titre de comparaison, le plus gros if de Grenoble avant son abattage ne faisait que 2,75m…).
Article paru dans le Journal de la Nouvelle République le 11 mars 2018
Superbe cet if étayé. Je ne le connaissais pas. Merci pour le partage.
Étrange configuration, les pierres n’auraient-elles pas été maçonnées pour empêcher l’éclatement du tronc en complément de l’étayage? Même si cela pourrais paraitre étrange comme mesure de préservation, ce n’est pas impossible!
Un très drôle de spécimen et un bien beau parc !
Je sais qu’à cette époque du jardin romantique on aimait bien mêler minéral et végétal et même leurrer les visiteurs en moulant des formes de troncs et d’écorces dans du béton qui à terme devenait moussu et donnait une belle impression.
A côté de ça on peut aussi penser aux multiples arbres maçonnés, c’était une période où la ‘chirurgie arboricole’ connaissait son âge d’or.
L’if mystérieux de la Motte Feuilly a fait l’objet d’un bel article dans le journal de la Nouvelle République le dimanche 11 mars 2018. Merci à Yannick pour me l’avoir transmis.
A découvrir à la fin de cet article.
Notre petit blog est cité discrètement dans la légende des photos 🙂 🙂 🙂
Il semble qu’il s’agisse d’une série sur les arbres remarquables du Berry puisque l’article sur l’if porte le numéro 6/15.
II serait intéressant de récupérer les articles sur les autres arbres présentés… Avis aux lecteurs de La Nouvelle République, merci !
Bonjour à tous,
l’if était déjà réputé en 1789. Gabriel DALLET en parle sous ses termes : En France, l’if de la Motte feuilly a un tronc qui mesure 8m de tour et 15m de hauteur : l’ombre qu’il porte a une étendue de 22m. C’est à son pied que, vers 1500, vinrent se reposer des fatigues de la cour, Charlotte d’Albret et Jeanne de France.
Les pierres sont probablement un support pour boucher les cavités de cet arbre vénérable.
« C’est une technique du 17ᵉ siècle dont l’objectif était de maintenir l’arbre droit » nous dit un nouvel article de la Nouvelle République du 23/07/2024
https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/commune/la-motte-feuilly/arbres-remarquables-la-motte-feuilly-veille-sur-son-geant-vert-au-pied-de-pierre