Le Frêne de Napoléon (Île-d’Aix, Charente-maritime)

Pour rester dans l’actualité du moment, la sortie du film « Napoléon », on pourrait être tenté de ressortir l’un des nombreux articles arboricoles concernant l’Empereur. Ils sont légion et garantissent toujours le buzz auprès des lecteurs tant le mythe napoléonien reste fort.
Il faut reconnaître qu’à l’instar de Joséphine, présente tout au long de la vie de Napoléon, les arbres ont aussi été associés à chaque épisode glorieux ou tragique de la vie de l’Empereur : les platanes plantés au bord des routes pour faire de l’ombrage aux troupes partant conquérir l’Europe, les nombreux arbres plantés à la naissance de l’Aiglon, la forêt en forme d‘Aigle impérial de la montagne du Grand Serre apparue mystérieusement lors de son retour d’exil, la vénération pour les saules pleureurs entourant la tombe de l’Empereur…
Mais l’arbre que je vais vous présenter, à l’allure à peine vénérable, tient une place bien à part dans le mythe napoléonien.

En effet, le Frêne de la Maison d’Aix, aujourd’hui Musée Napoléon, est probablement le dernier (ou l’un des tous derniers…) arbre que l’Empereur a côtoyé avant son départ pour les terres australes de Sainte Hélène.
C’est dans ce cadre verdoyant, dans une chambre avec vue non pas sur mer mais sur un jeune frêne qu’il a passé ses dernières heures en France.
(NDLR : n’oublions pas que Napoléon avait bon goût en matière de villégiature, puisqu’il était toujours à la recherche d’un Bon-Appart 😉 ).


Mais reprenons l’histoire à son commencement…

Ce n’était pas son premier séjour sur l’Île d’Aix, Napoléon était passé sur l’île quelques années plus tôt pour l’inspection des travaux des fortifications. Ravi de sa visite, il ordonne la construction d’une belle demeure (à l’architecture typiquement napoléonienne 🙂 ) pour son ami le commandant.

La légende raconte que pour l’occasion, l’Empereur aurait planté dans le jardin de la belle demeure un frêne greffé sur un ormeau en 1808.
Et voilà, c’est à ce moment de l’histoire que ça dérape… comme souvent dans le mythe napoléonien, des faits farfelus viennent se greffer à l’Histoire pour glorifier joliment la légende du personnage.

Point de greffe bien visible sur le tronc

Le greffage d’un frêne sur un orme semble totalement impossible.
Il s’agit de deux genres botanique différents et de plus, issus de deux familles différentes.
Le point de greffe est encore bien visible à l’âge de 200 ans, mais l’observation attentive de l’écorce ne permet pas d’en déduire que le porte-greffe utilisé soit un orme.


Le greffage des végétaux est un véritable art qui ne se maîtrise qu’après une très longue expérience et une connaissance exceptionnelle des végétaux. Un art qui malheureusement se perd à notre époque alors qu’il était très pratiqué par nos anciens.
Alors rien d’impossible avec Napoléon, on peut imaginer qu’un greffeur de génie ait été mis à disposition de l’Empereur pour réaliser cette prouesse.
Il existe bien des cas de châtaignier greffé sur du chêne, mais à ma connaissance pas d’association de frêne sur un orme.
On peut aussi se poser la question pour quelle raison chercher à greffer un frêne sur un orme ? Au-delà de la performance, l’intérêt d’une greffe est de pouvoir bénéficier des aptitudes particulières du porte-greffe pour le développement du greffon. Il n’y a aucun intérêt recherché dans cette association.
Mais il y aurait peut-être une autre explication.
Le frêne en question est un frêne à fleurs (Fraxinus ornus), nommé communément orne. Il y aurait peut-être eu une confusion avec le temps entre « orne » et « orme »… Et il pourrait s’agir en fait d’une greffe d’un frêne à fleurs sur la même espèce botanique. L’intérêt aurait pu être de récupérer un greffon de frêne à fleurs sur un arbre remarquable dont l’histoire est symboliquement associé à l’Empereur, sur un petit frêne déjà présent dans le jardin de la maison.
Mais ce ne sont là que de simples suppositions… Le mystère reste entier et continue d’alimenter la légende du grand homme 🙂

Le frêne à fleurs fleurit fin avril – début mai

Pour finir sur des informations purement dendrométriques, qui devraient intéresser les passionnés et « chasseurs » d’arbres remarquables, le Frêne à fleurs de Napoléon, âgé de 215 ans, présente une circonférence à 1,30m de 3,17m pour une hauteur totale estimée à 8m.
Il a reçu le prestigieux label Arbre remarquable de France en 2015.
Il fait l’objet de toutes les attentions puisqu’il est la pièce maîtresse du minuscule jardin de la villa. De nombreux haubans ont été placés dans son houppier, volontairement maintenu réduit dans une situation où les vents peuvent être violents et préjudiciables pour l’arbre vénérable.


Plus d’informations sur cette maison historique transformée en Musée national napoléonien et ouvert au public depuis 1928 : ici
Et de l’autre côté de la rue se trouve le Musée africain où vous pourrez voir le célèbre dromadaire naturalisé monté par Bonaparte himself en 1798 lors de sa campagne en Egypte, tout un programme ! 🙂 🙂 🙂

Merci à Guy de nous autoriser à publier une photo ancienne, issue de sa collection personnelle, datant de 1920-1930.
Le jeune Frêne napoléonien est âgé d’une centaine d’années. On remarque bien le point de greffe situé à 1m du sol et son houppier n’était constitué à l’époque que de deux charpentières.

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17 réflexions sur « Le Frêne de Napoléon (Île-d’Aix, Charente-maritime) »

  1. Chouette découverte ce frêne à fleurs impérial.
    J’adore quand la grande Histoire se fait rattraper par la petite. Et arboricole qui plus est.
    Merci Castor 😉

  2. Bonjour Castor,

    Au delà du mystère de l’existence de ce frêne très intéressante, et sauf erreur de ma part, il est rare de voir un si « petit » arbre haubané de la sorte ! J’ai mis « petit » entre guillemets car la circonférence de ce frêne à fleurs est impressionnante pour son espèce. Cet arbre mérite son label à plus d’un titre !

    Merci pour cette découverte et mention spéciale à la vanne NDLR du 4ème paragraphe !

    Aurélien G

  3. Merci pour tous vos commentaires, ça fait plaisir 🙂

    @ Albert : avez-vous des photos de cet arbre il y a 20 ans ? ce serait intéressant de voir évolution de sa silhouette

    @ Pat’ : les histoires se mélangent pour notre plus grand plaisir 🙂 mais faut-il vraiment chercher la vérité dans toutes ces histoires, elles sont belles comme ça.

    @ Aurélien : je ne suis pas spécialiste, mais ça ne me choque pas ces haubanages sur le vieux frêne, au contraire. Il part en 4 grosses charpentières et vu son âge il y aurait surement un vrai risque de déchirure en cas de chute d’une des charpentières, surtout sur cette île très exposée aux vents. Mais attendons l’avis des arboristes sur ce sujet 🙂

  4. Bonsoir Castor,
    C’est toujours très émouvant de voir des arbres qui ont eux-mêmes rencontré des personnages historiques que l’on apprécie ou pas.
    À propos du film dont vous faites référence, j’ai écouté attentivement les critiques dans l’émission le masque et la plume, l’avis des personnes présentes ce dimanche a été unanime, ce film serait une catastrophe absolue, je rajoute que le réalisateur est anglais, ceci n’explique pas forcément cela, 😁.
    Merci pour cet article.
    Marcou.

  5. Il faut sortir du compréhensible pour avoir une explication satisfaisante.

    Nous avons déjà cité Charles Baltet, (l’art de la greffe) qui évoque l’harmonie entre le chêne et le châtaignier, malgré leur appartenance à des familles différentes. Il souligne également la particularité de l’aubier de l’orme, moins gras que celui d’autres arbres. Cette synergie incohérente entre espèces se retrouve dans d’autres domaines de la nature, témoignant d’une mystérieuse interconnexion.

    Historiquement, les cultures germaines et celtes attribuaient une signification sacrée à l’orme (féminin) et au frêne (masculin). Leur association, symbolisait l’union de la terre (orme) et du ciel (frêne).

    Je trouve osé et merveilleux de penser qu’un être éclairé ait pu réaliser l’union végétale impossible entre ces espèces mais possible entre 2 polarités végétales: féminin et masculin pour donner la greffe spirituelle. Cela doit exister dans d’autres parties du monde.

    L’auteur de cette création, conscients de sa richesse symbolique, a cherché à illustrer la richesse des énergies sacrées. Cette alliance magique suggère que le lieu est un berceau de complétude, où la fusion des polarités crée le monde des possibles dans une harmonie universelle.

    • Bonjour, chênes et châtaigniers appartiennent à la même famille, celle des fagaceae. Il est donc moins étonnant qu’ils puissent présenter une compatibilité.
      Dans ce cas rien n’indique qu’il s’agisse d’un orme comme porte-greffe.

  6. Bonjour Castor,j’ai retrouvé dans mes ‘archives’ une photo au format carte postale ,mais qui n’est pas une CP.
    le document date des années 1920 ou 30 ?
    Ce que l’on peut constater : l’écorce du porte greffe est vraiment différencié sur le document. il a tout de même bien grossit en 100 ans.
    Je suis d’accord avec ton explication sur la confusion entre orne et orme .
    le jeu de mot m’a beaucoup plu !
    Guy
    https://lestetardsarboricoles.fr/wordpress/wp-content/uploads/img603-c.jpg
    https://lestetardsarboricoles.fr/wordpress/wp-content/uploads/IMG_20231204_174254.jpg

    • Bonjour Guy,

      merci pour ton commentaire.
      Si tu l’autorises, on pourrait ajouter cette photo d’archive à l’article (me l’a faire suivre sur mon mail perso ou sur la fiche contact des têtards à Yannick), c’est toujours intéressant de pouvoir disposer de ce genre d’archive pour suivre l’évolution de nos chers arbres remarquables 🙂

  7. Voici au moins un arbre que l’empereur a pu cotoyer, car effectivement comme pour Henri IV , il y a un nombre important d’arbres qui lui sont associés dans différents pays. Cela pourrait être l’objet d’une publication dédiée…
    Concernant la greffe, je te rejoins. Il s’agit certainement d’une confusion. D’ailleurs, les deux écorces ne semblent pas fondamentalement différentes entre le greffon et le porte-greffe.

  8. Oui c’est vrai, voici un arbre contemporain de l’Empereur et même soi-disant planté par lui-même, ce qui semble un cas rare parmi tous les arbres associés à Napoléon.

  9. Depuis 1925, l’épidémie de graphiose, principalement transmise par le grand scolyte de l’orme, a dévasté les populations d’ormes dans l’hémisphère nord.

    La résistance d’un orme à cette épidémie, en particulier ceux préexistants, est non seulement remarquable mais aussi très rare, enrichissant la diversité botanique étudiée.

    Si c’est un orme, l’utilisation de la greffe qui est une forme de symbiose artificielle, peut offrir des avantages mutuels aux végétaux impliqués, notamment une protection potentielle par les mycorhizes pour le porte greffe.

    Cependant, la confirmation de ces interactions nécessite des tests génétiques.

    Dans mes travaux précédents avec Taransaud en forêt de Belleme, j’ai employé ces tests pour distinguer les chênes centenaires, particulièrement le chêne Rouvre et les hybrides du Pédonculé, en raison de leur valeur accrue en tonnellerie et vinification. Leur utilisation est fiable et industrielle.

    La détermination d’espèces végétales par tests génétiques, coûtant environ 150 euros, est une méthode éprouvée et essentielle si on veut approfondir nos connaissances dans ce domaine.

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