Une fois n’est pas coutume, dans cette petite commune savoyarde le Roi de la forêt n’est pas un sapin.
La Mairie est fière de son « Gros Mélèze », et pour cause, il serait l’un des plus gros d’Europe. Avec ces quelques mots, elle présente Son arbre aux promeneurs venus lui rendre visite :
« Il y a environ 600 ans, en même temps que Jeanne d’Arc, sous le règne d’Amédée VIII, Duc de Savoie, notre « majestueux » mélèze d’Europe voyait le jour.
Au fil des siècles, il est arrivé à des dimensions imposantes : 6m40 de circonférence et 29m de haut. Aujourd’hui, il vous demande encore de le respecter pour les générations futures. Merci. »
Montricher aurait pu rester une simple petite commune industrielle de Maurienne atteinte de pollution au fluor et à la population décroissante.
Mais ça c’était avant ! Avant la ruée sur l’Or Blanc dans les années 70 et la création de sa station de ski emblématique des Karellis à l’architecture inspirée par Le Corbusier.
Et pourtant, la vraie richesse de la commune n’est pas celle qui rapporte le plus d’euros.
Car depuis un demi-millénaire au fond de la Forêt de la Mélezia, une « pépite d’or » grossit d’années en années.
Une pépite nommée « Le Gros Mélèze » et qui fait l’admiration des randonneurs partant à l’assaut du Pain de Sucre.
Depuis la Vierge des Moulins, il faut compter une petite heure de marche dans le mélézin. Le chemin serpente à travers une coupe effectuée au début des années 2000 qui a permis de rajeunir le peuplement et de supprimer quelques chablis… et accessoirement d’être l’occasion d’une entrée d’argent dans les caisses de la commune.
De grosses souches encore visibles laissent penser que les vieux mélèzes étaient (trop) nombreux dans la forêt de la Mélezia.
A partir de 1750m d’altitude, changement de décor ! Le mélézin a conquis de nouveaux espaces au cours du XXème siècle. A l’origine de la progression de la forêt, quelques vieux mélèzes isolés dans d’anciens alpages. La disparition de l’activité pastorale a permis à la forêt de conquérir de nouvelles terres. Les vieux mélèzes d’origine sont multiséculaires mais dans un état parfois moribonds, voir écroulés au sol. Ils partagent désormais ce territoire d’altitude avec des populations de tous âges donnant un bel aspect irrégulier au peuplement.
Sa Majesté, « Le Big Larix », est l’un d’entre eux.
Il trône à l’écart du sentier dans une petite clairière qui a tendance à se refermer.
Au pied du vénérable, des bancs invitent le randonneur à une pause avant la dernière montée vers le Pain de Sucre. Pour ma part, il était inutile d’aller plus haut, j’avais atteint mon trésor (la vérité, j’aurai bien continué jusqu’au sommet mais une grosse averse orageuse m’a découragé !).
A son pied, ses dimensions sont vraiment impressionnantes, pas tant en hauteur mais surtout en circonférence.
En octobre 2014, la circonférence à 1,5 m est de 6,05 m.
A 1,3 m du sol = 6,22 m (mesure cohérente avec les 6,40m inscrits sur le panneau).
A la base à 50 cm du sol = 7,5m.
Une excroissance de type loupe (plutôt rare chez les mélèzes) à la base du tronc n’influence pas trop les mesures de circonférence.
Sa hauteur mesurée au dendromètre électronique est de 28m. C’est une valeur assez banale pour un mélèze adulte. Dans les meilleures stations forestières, certains mélèzes peuvent atteindre les 40m de haut.
Coordonnées géographiques : 45,19360°N 006,41907°E – Altitude 1790m
Il a reçu le label Arbre Remarquable de France en juin 2002. Etonnamment, aucune indication sur place ne signale l’attribution de ce label prestigieux.
Ces forêts de montagne difficiles d’accès et éloignées des dernières habitations offrent la possibilité d’allonger leur cycle de vie. Seuls les éléments naturels (avalanches, glissements de terrains, bris de neige, attaques parasitaires…) joueront un rôle de « régulateur » des peuplements.
Malgré un environnement difficile, il n’y a rien d’étonnant à y trouver de vieux arbres vénérables.
L’âge de ce mélèze est estimé entre 500 et 600 ans et selon la légende, il serait né la même année que Jeanne-d’Arc.
Plus d’un demi-millénaire d’existence pour une espèce résineuse, c’est exceptionnel. En France, en dehors des ifs, les résineux atteignent péniblement l’âge canonique de 400 ans. Comparés aux sapins et épicéas, les mélèzes peuvent avoir une longévité bien supérieure.
Le panneau indique que le « Gros mélèze » serait l’un des plus gros d’Europe.
Cela me semble bien exagéré…
Il serait même étonnant qu’il soit le plus gros de France. En consultant les inventaires recensés par Tristan, deux autres mélèzes atteindraient des dimensions similaires dans les Ecrins : l’un dans la vallée du Fournel (ici) et l’autre sur les hauteurs de Freissinières (ici), source inventaire Méluzine.
Et, il est fort probable de trouver des mélèzes encore plus gros dans des zones difficilement accessibles.
Au niveau européen, les mélèzes helvétiques des alpages de Balavaux, dont la réputation dépasse largement les frontières, représentent un groupe de 300 très vieux mélèzes (un article du Krapo ici). L’un d’entre eux (le Bala20) serait presque millénaire, comme le précise cet article sur leTemps.ch : « Il s’appelle Bala 20, pour être le 20e grand mélèze de l’alpage de Balavaux en comptant depuis le sommet. Autour de lui, ils sont 250 géants, parsemés dans le pré au-dessus du village d’Isérables en Valais. Bala 20, ainsi baptisé par l’Institut de dendrochronologie de Neuchâtel, est le plus grand mélèze d’Europe, avec 9,10 m de circonférence à hauteur de poitrine humaine. Il aurait entre 850 et 1000 ans et 30 mètres de hauteur, selon le garde forestier François Vouillamoz. ».
Comparé à ses cousins suisses, notre « Gros mélèze » a encore de beaux jours devant lui.
Mais sans être dépérissant, son état de santé n’est pas excellent. Une cavité à son pied dévoile un tronc creux sur un mètre de hauteur, donnant l’aspect d’une petite porte pour lutins.
Un ancien feu a été allumé à l’intérieur de la cavité. Un acte de vandalisme bien trop courant sur les gros arbres. Les bergers avaient l’habitude de s’abriter à proximité et de faire du feu. Ce mauvais geste a été reproduit par un chasseur il y a une trentaine d’années (informations recueillies auprès de M. Verney, ancien Maire de la commune).
Un vieux cliché issu de l’article de Jean Pardé « Plaidoyer pour le mélèze » en 1957 dans la RFF, date du début XXème avant la progression de la forêt sur ces anciens alpages
Les mauvaises conditions météos ne m’ont pas permis de continuer à prospecter sur cette de terre de géants. Pourtant de nombreux vieux mélèzes sont dispersés sur le haut de cette parcelle forestière.
Dans ma redescente rapide vers la voiture, j’en ai relevé deux aux dimensions remarquables.
Je les ai baptisés avec le peu d’inspiration du moment (mon cerveau n’étant pas waterproof !)
Le « Mélèze de la fourmillière » à cause de la fourmilière adossée à son pied (les fourmis rousses adorent les petites aiguilles des mélèzes pour construire leur maisonnette).
Circonférence à 1,3m = 5,10 m et hauteur estimée à 25-27 m.
En comparaison, on peut estimer son âge à 300 – 400 ans
Son état de santé est assez dépérissant avec la présence de nombreux champignons à la base et sur les grosses branches basses. La fourmilière à son pied n’y est surement pas étrangère…
Coordonnées géographiques : 45,19373°N 006,41568°E – Altitude 1780m
Le « Mélèze de Grapil », en rapport avec le nom du lieu-dit, est de dimensions plus faibles mais en bien meilleure santé. Son âge peut être estimé à 300 ans.
Circonférence à 1,3m = 4,70 m et une hauteur voisine de 25m.
Coordonnées géographiques : 45,19365°N 006,41533°E – Altitude 1785m
Un autre mélèze à côté de la passerelle en bois est également de belles dimensions (proche de 4m). Je n’ai pas pris le temps de l’enregistrer et de le mesurer. Il est magnifique, droit comme « I », je reviendrai une prochaine fois le mesurer… « le Mélèze droit » !
La Forêt de la Mélezia n’a pas fini de dévoiler tous ses trésors. Les habitants de la commune sont très attachés à leur forêt qui a fait l’objet de litiges forestiers et de rivalités avec la commune voisine de Valloire durant 300 ans !!!
Avis aux chasseurs d’arbres remarquables, la partie amont du « Gros Mélèze » cache certainement d’autres belles pépites à découvrir.
J’y retournerai à la fin du printemps prochain car la neige commence déjà à faire ses premières offensives…
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Note: une Association « Le Gros Mélèze » a pour double vocation de sauvegarder le patrimoine et le fleurissement du village.
Merci, encore un article fort intéressant!
Superbe ces gros balèz.. heu… mélèzes. La fourmilière a vraiment une taille impressionnante. Je me souviens avoir vu un doc sur des fourmis qui cultivaient des champignons dans leur fourmilière pour se nourrir. Mais il me semble que c’était en Amérique du sud. Je ne sais pas si l’on peut retrouver ces conditions en France.
Merci pour ce partage. Je ne pensais pas que les mélèzes pouvaient atteindre de telles dimensions.
Je suis ravi de vous avoir présenté ce gros mélèze, ce n’est pas une nouvelle trouvaille, il est assez connu et même référencé par l’association ARBRES. C’est un arbre que j’adore (surement dans mon TOP 10, lol !) et sa situation dans cette petite clairière tranquille ajoute un charme supplémentaire que l’on ne trouve pas dans nos arbres urbains ou de parcs.
Pour les fourmilières, c’est vraiment un monde fantastique. C’est fascinant une telle organisation. Certaines, comme dis Y@nick cultivent des champignons, d’autres font des élevages de pucerons et j’avais lu dernièrement que les chercheurs avaient découvert une nouvelle espèce aux USA qui pratiquait l’esclavage pour s’occuper de leurs nurseries http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/01/16/une-fourmi-ninja-pillarde-et-esclavagiste-decouverte_4349559_3244.html# !!!
En tout cas c’était un peu chaud pour mesurer le « Mélèze de la fourmilière », j’ai du pratiquer le lancer de décamètre pour ne pas monter sur le dôme. Heureusement avec la pluie elles étaient peu actives…
Super ! Encore un reportage qui fait rêver. Effectivement il est probable de trouver des mélèzes encore plus gros.
Un commentaire de Thierry Vilatte sur Krapo 12 septembre 2012 disait : « Sur le gr55 au dessus du hameau de Polset (Modane 74) a 15minutes en remontant de ce hameau, il y a un mélèze qui doit avoir 2000 ou 3000 ans ! Son diamètre est de 3 ou 4m ? Il est en pleine santé. »
A voir aussi un arbre multicentenaire vers Plan Fournier à Planay en Savoie. J’imagine que c’est un sapin.
http://www.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2Flesmontagnardstarasconnais.com%2Fimages%2F2011%2FVanoise%2FVan302.jpg&imgrefurl=http%3A%2F%2Flesmontagnardstarasconnais.com%2F110625.htm&h=375&w=500&tbnid=v41NFyuXMvbq-M%3A&zoom=1&docid=T0_0TnwunK5agM&ei=pTZJVM3fK4jFPZ6lgKAI&tbm=isch&iact=rc&uact=3&dur=1576&page=1&start=0&ndsp=50&ved=0CCgQrQMwAg
Voilà ton commentaire perdu dans les spams!
Il va falloir que l’on s’invite chez toi et Tristan!
La zone de vos prospections est vraiment d’une grande richesse arboricole, en plus dans des endroits sauvages…
Ce que je trouve admirable chez ces vieux mélèzes, c’est leur magnifique écorce, je l’avais déjà remarquée dans le livre de Jeroen Pater; j’espère avoir l’occasion de me retrouver au pied d’un de ces ancêtres…
Balèze le mélèze !!
Oui, il est dit que certains dépassent largement le millénaire, dans les 1500, mais je n’ai pas de preuve à l’appui. Un pin laricio en Corse avait entre 950 et 1000 ans et pour le mélèze dans certaines stations d’altitude ça doit aussi le cas.
Pour ce qui est de la hauteur, voici pour l’instant le summum avec 53,8 m
http://www.monumentaltrees.com/fr/deu/hesse/vogelsbergkreis/4524_richthof/10650/
Et en circonférence, y a du suisse à 11,2 m
http://www.monumentaltrees.com/fr/che/valais/iserables/4323_cheesefarm/
Impressionnant ces mélèzes de 54m de haut ! on dirait que les 1ères branches sont à plus de 20m de haut, wahouuuu ! faudrait tout de même pas un coup de vent trop fort… ça risquerait de faire le jeu de quilles…
Je ne savais pas que les laricos pouvaient atteindre l’âge de 1000 ans ! Il s’agit de laricios version « bonzaï » naturels accrochés à des rochers ???
J’en avais vu qui avait 400 ans dans le Valdo Niello, des monstres de 8-10 m³, mais ceux là n’atteindront jamais les 1000 ans, ils étaient coupés, débardés et près à être expédiés vers le continent…
En fait, ces mélèzes en peuplement denses, craignent moins le vent, mais quand une trouée se forme, ça se complique.
Pour les laricios, il s’agissait d’un individu en station forestière, de taille assez élevé (cf, Arbres et forêt 2005-08 ~). De vieilles stations de montagnes, doivent encore en abriter de forts anciens. Certains de beaux diamètres atteignent déjà les 500-600 ans.
Et une autre source pour un autre sujet :
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/27149/RFF_1955_12_853.pdf?sequence=1
Très intéressant l’article de la RFF, merci pour le lien. Je ne sais pas si d’autres laricios peuvent encore rivaliser avec les dimensions de ce Régina…
Magnifiques résineux, ils sont majestueux !
C’est un peu nos forêts de séquoias à nous 😉
Bel article !
Le mélèze se situe sur l’ancienne commune d’Albanne, et donc pas en propre sur Montricher – et plus précisément sur Albannette.
C’était juste pour une petite précision géographique locale.
C’est un véritable lieu de ressourcement.
Plus que l’envergure vénérable de l’arbre, ce qui est le plus spectaculaire encore c’est de pouvoir comparer l’état de l’avancée de la forêt. Une vieille photo des années 30 montre le mélèze tout seul sur l’alpage (montagnette) de Grapil, la photo de Jean Pardé de 57 montre le début de l’ensauvagement.
Aujourd’hui on peut se demander si les épicéas et autres sapins, ne feraient peut-être pas un trop d’ombre et de fraicheur au mélèze, qui je crois, à besoin surtout de lumière. Qu’en pensez-vous ?
Les communes d’Albanne et de Montricher ont fusionné en 1969 (info Wikipédia), Albannette est un lieu-dit faisant parti de cette fusion de communes.
Oui, c’est vrai que les photos anciennes sont précieuses pour suivre l’évolution du paysage. La reconquête de la forêt sur les alpages est impressionnante dans certains secteurs des Alpes à tel point que les paysages se ferment dans une masse forestière… trop importante !
Concernant le gros mélèze, il a peu de risque de concurrence avec son voisinage, il a fait sa place depuis plusieurs centaines d’années, et nul doute que les forestiers locaux surveillent les voisins du Big Larix. Ce sont surtout les jeunes mélèzes qui peuvent souffrir d’une trop forte concurrence avec d’autres espèces (sapins…).
A noter, aux Forges d’Abel (Urdos, 64), un groupe de mélèzes gigantesques qui en février hissaient leur plus haut specimen à 44,2 m !
merci de tes lignes, j’y suis allée : trop bien, comme j’y suis allée le matin, j’ai eu le temps d’aller jusqu’en haut, vraiment fabuleux, merci de ton site, car je m’en sers beaucoup pour aller voir les vénérables arbres de France :
http://lesarbresetmoi.canalblog.com/archives/2018/08/14/36627690.html
Sabrin’arbres
Merci pour votre article.
Effectivement certains mélèzes dans la prairie au-dessus d Iserables paraissent bien plus gros, ce qui n’enlève rien à la majesté de celui-ci. Une belle rencontre cet arbre.