Quand une feuille de peuplier renaît de ses cendres. Yvon Le Douget

Yvon un fidèle du Krapo (voir ses contributions ici), nous présente son remarquable travail.

C’est à la lecture du très intéressant article sur les œuvres de dentelle sur feuille d’arbre de l’artiste espagnol Lorenzo M. Durán que l’idée m’est venu de vous proposer ce sujet. Ici aussi la feuille d’arbre est prétexte et support à une recherche artistique mais dans un domaine autre, celui de la céramique et des glaçures de haute température sur grès (1280° à 1300° C).

Dans ce domaine, le modèle et la référence reste la Chine ancienne, plus précisément la Dynastie des Song (960-1279). De tous les types de décors créés par les potiers chinois de cette époque, un des plus remarquables et des plus intrigants est celui que l’on trouve sur certains bols noirs de Jizhou dans la province du Jiangxi.

Feuille Jizhou, Beurdeley Un délicat motif de couleur jaune-ocre nous montre l’image d’une feuille jusqu’à ses plus fines nervures, parfois même quelques déchirures et blessures infligées par les insectes voraces. Longtemps, seul le volumineux ouvrage de Cécile et Michel Beurdeley, « La céramique chinoise, le guide du connaisseur » nous a offert (page 139, je m’en souviens !) un bel exemple de ce type (photo ci-dessus). Ce bol célèbre au Japon, classé Bien Culturel Important, est conservé aujourd’hui au Musée des Céramiques Orientales à Osaka, don du groupe Sumitomo, après avoir été longtemps possession de la famille Maeda.

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En 1987, en travaillant sur des glaçures noires faites d’un mélange de cendre de bois et d’argile riche en oxyde de fer, j’ai eu la certitude que la couleur de ce motif s’expliquait tout à fait par le complément de cendre que pouvait apporter, après calcination, une feuille véritable à la glaçure de fond. Quelques taches jaunes informes au fond d’une coupelle noire me confortaient dans mes premiers essais mais sans plus. Je continuais avec motivation, certain désormais de la nature de la réussite des vieux potiers chinois. Après bien des essais infructueux, arrive enfin au début 2007, un premier résultat concluant, mieux même, puisque un détail fortuit me donne la solution de l’énigme. Sur le rebord d’une petite coupelle, la queue d’une feuille pend dans le vide. Entre les doigts, elle se réduit en poussière, il n’y a pas eu fusion !

Feuille n┬░2 YLD

Je trouverai la réponse dans un vieil ouvrage de physiologie végétale rédigé par M. Marchal : « La signification biologique de la chute des feuilles est de débarrasser l’organisme végétal de matières minérales inutiles… d’où la richesse des feuilles, au moment de leur chute, en certains corps résiduels : chaux, silice, fer … tandis que d’autres produits, tels les phosphates, les sels potassiques, ayant au préalable émigré vers les tissus de réserve sont très raréfiés ».

Des analyses de feuilles faites par Emil Wolff et reprises par Robert Tichane dans son ouvrage « ash glazes » confirment qu’en automne la cendre d’une feuille peut se composer à près de 80% de calcium et de silice. C’est une composition bien trop réfractaire à la température de cuisson du grès. Sa fusion demanderait sans doute d’atteindre une température proche de 1450° C, ce que mon argile ne supporterait pas ! Fort heureusement, calcium et silice apportés par la feuille trouveront dans la glaçure le troisième élément, l’alumine, qui permettra l’eutexie et la fusion de l’ensemble, sachant que l’eutexie est la propriété que possède un mélange de fondre à une température plus basse que celle nécessaire à chacun des éléments pris séparément. Ici l’apport de l’alumine permettra d’abaisser la fusion du mélange à 1280° C, température de cuisson de mon émail.

Feuille n┬░1 YLD

La nature commande donc et il me faut, chaque année, attendre l’automne pour refaire ma provision de feuilles. Les avis divergent quant à l’espèce choisie par les vieux potiers chinois et certains textes parlent de feuille de mûrier, d’autres de feuille de pipal, arbre sacré du bouddhisme. Les possibilités sont certainement multiples mais mon choix s’est arrêté dès le début sur la feuille de peuplier car il m’avait semblé la reconnaître dans la production chinoise ancienne. Or le peuplier ne produit des feuilles de grande taille que sur les rejets des arbres coupés ou rabattus l’année précédente. C’est donc bien plus tôt en saison que mon amie Nicole, qui sillonne chaque jour en vélo les nombreuses petites routes de la campagne fouesnantaise, a déjà cherché et repéré les futures sources d’approvisionnement. Le succès n’est pas encore assuré car il faut à ces feuilles, non seulement une taille, mais aussi une épaisseur suffisante pour apporter assez de matière pour révéler le motif. Nature du sol, mauvaise exposition ou météo défavorable, certaines années les feuilles récoltées sont si minces qu’il me faut renoncer à toute production en patientant, sans aucune certitude, jusqu’à la prochaine récolte.

Atelier n┬░4

La feuille de peuplier, de taille et d’épaisseur suffisante donc, posée sur la coupelle émaillée d’une glaçure « noir de fer » va d’abord se consumer en tout début de cuisson en perdant la moitié de sa taille mais en conservant sa forme. Combustion terminée, le squelette minéral repose au fond de la coupelle à l’abri des turbulences du four. Sa fusion associée à celle de l’émail n’interviendra donc qu’en toute fin de cuisson. Mais si au lieu de se consumer, la feuille s’enflamme, ce qui arrive parfois, la pièce est perdue. Si la température idéale est dépassée, le motif se diffuse puis disparait noyé dans l’émail. C’est ainsi que seules quelques céramiques échappent chaque année (et encore pas toutes) à la sanction du marteau !

Yvon Le Douget

 

Toutes les coordonnées d’Yvon sur son site par ici.

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4 réflexions sur « Quand une feuille de peuplier renaît de ses cendres. Yvon Le Douget »

  1. Superbe, ces feuilles d’automne semblent juste tombées de l’arbre pour se déposer délicatement au creux de ces coupelles.
    Que d’essais et de tâtonnements il a du te falloir Yvon pour parvenir à un tel résultat. Et quelle satisfaction cela a du être de parvenir à ressusciter cette technique ancestrale.

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