Découverte de sapins d’Espagne dans la Vienne/Chapitre I : L’étonnant duo de Gouex

Après le séquoia record de Bénévent, Aurélien nous dévoile deux spécimens de Sapin d’Espagne tout simplement exceptionnels… Un premier est présenté dans cet article et le second est programmé pour mardi, il faut bien faire durer le plaisir…

Passionné d’arbres, je participe au recensement des séquoias dans la Vienne via le site sequoias.eu.
Parfois, alors que je « chasse » ces conifères dans le paysage en tâchant de repérer leurs cimes qui dépassent souvent du reste, il m’arrive de rencontrer par hasard d’autres espèces qui, de par leur taille ou leur forme particulière, attirent le regard.
Ayant encore peu de connaissances en dendrologie, j’essaie autant que possible de récolter des photos et informations sur ces arbres remarquables.
Voici donc deux chapitres dédiés à deux sapins d’Espagne de la Vienne, l’un en compétition avec un séquoia voulant toucher le ciel, l’autre énorme et original…mais condamné.

L’étonnant duo de Gouex

C’est dans une petite ville sympathique de la Vienne (prononcez « Goué») qu’une mairie se distingue de par son parc public étonnamment bien arboré. A mon arrivée, ce sont des cimes de peupliers qui se dévoilent en hauteur, puis celle d’un conifère, particulièrement haute mais qui n’est apparemment pas celle d’un séquoia. Mais voilà qu’en contournant la silhouette, une autre se détache de celle-ci. Un séquoia géant apparaît alors aux cotés d’un curieux conifère qui, je le découvrirai plus tard, se trouve être un sapin d’Espagne. Alors que je ne connaissais pas encore l’espèce que je suis en train de décrire, je contemplais avec admiration ce duo d’une hauteur vertigineuse et je me faisait remarquer que la forme de cet étrange conifère semblait épouser son voisin le séquoia en se courbant gracieusement contre lui.
Aujourd’hui renseigné, je comprends que les mensurations de ce dénommé sapin d’Espagne, ou sapin d’Andalousie ou Pinsapo (Abies pinsapo de son nom scientifique) sont impressionnantes pour l’espèce.
Côté circonférence, je mesure 4m24 à 1m30 du sol. Soyons clairs, c’est du très gros calibre. Le séquoia de son côté prend logiquement le dessus avec 4m86 à 1m50 du sol et juste derrière, un Cèdre du Liban leur met une claque à tous les deux avec 6m39 de tour ! En revanche, ce dernier est beaucoup moins haut… Et c’est d’ailleurs sur ce critère que notre protagoniste va se démarquer.

Sapin d’Espagne——————–Cèdre du Liban———————Séquoia géant

En effet, si ce Pinsapo est exceptionnel, c’est surtout grâce à sa hauteur. Bien avant moi, c’est l’association Vienne Nature qui avait repéré cet arbre de 34 mètres de haut déjà remarquable entre 1996 et 1999. 20 ans plus tard, le drone s’envole alors jusqu’à la cime afin dévoiler une nouvelle mesure.

Verdict : environ 34 mètres

Il n’aurait donc pas grandi depuis une vingtaine d’années. Tout de même, il reste probablement l’un des plus hauts sapins d’Espagne de France. A noter qu’il devient fourchu à environ 20 mètres de haut.

Le séquoia géant, lui, culmine à 37 mètres et s’affiche comme l’un des plus hauts séquoias géants du département. Seulement trois mètres séparent ce duo, alors que les deux essences ne sont pas censées atteindre les mêmes dimensions puisque le sapin d’Espagne, en France ou même ailleurs, n’est pas censé excéder 25 mètres !
Pourquoi ce Pinsapo a-t-il autant grandi et existe-t-il un rapport entre ces deux arbres ?
Au vu des dimensions proches en hauteur, en circonférence et en envergure, il est fort probable qu’un lien existe entre eux. Remontons le temps pour en savoir davantage.

Cette vieille carte postale (malheureusement non datée) nous permet de voir le sapin d’Espagne lors de sa jeunesse. On peut y voir notre arbre bicéphale qui présente déjà les branches « en étages » qui caractérisent les sapins en général et qui permettent de le différencier du séquoia. D’ailleurs, ce dernier est censé être juste derrière sur cette prise de vue. Or, il y a bien un conifère à gauche mais il est certain que ce n’est pas celui que l’on cherche. Le séquoia n’aurait donc pas encore été planté ou serait alors trop jeune pour qu’on en aperçoive la cime.
Autre indice, Vienne nature avait relevé les circonférences des deux arbres entre 1995 et 1999. Le sapin d’Espagne mesurait déjà 4m07 à 1m30 du sol. Il aurait donc grossi de 17 cm en environ 20 ans. Au même moment, le séquoia mesurait 4m55 à 1m30. Il aurait donc grossi de plus de 30 cm, soit le double, sans compter que la mesure que j’ai prise a été effectuée plus haut à 1m50 du sol, donc là où l’arbre est moins gros. Cela montre que le séquoia a une croissance bien plus rapide de celle du Pinsapo .
En résumé, il est évident que le sapin d’Espagne est plus vieux que le séquoia géant.
Pour aller plus loin, le séquoia géant a été introduit en France en 1855. Les plus vieux sujets du territoire dépassent tous les 8 mètres de circonférence et certains dépassent même les 13 mètres. Mais avec le séquoia de Gouex, avec 4m86 de tour, on en est loin. D’après mon expérience, il aurait au maximum une centaine d’années.
Le sapin d’Espagne, de son côté, a été introduit en France un peu plus tôt, c’est-à-dire dans les années 1840. Doté d’une croissance plus lente et vu le gabarit, il y a de fortes chance que notre Pinsapo gouexquis fasse partie des premiers sujets importés.
On peut donc estimer son âge à 170 ans (à + ou – 10 années près).
Mais alors, même si le sapin d’Espagne est plus vieux que le séquoia, comment expliquer cette croissance extraordinaire ?

 


Info : La circonférence des séquoias se mesure à 1m50 du sol afin d’obtenir une mesure plus réaliste. En effet, certains sujet présentent un tronc très évasé au niveau du sol. Une mesure classique à 1m30 aurait tendance dans certains cas à surestimer la grosseur d’un tronc et serait donc moins représentative de l’âge ou de la taille d’un sujet.


La réponse est peut être en rapport avec l’exposition solaire. Le séquoia est pile au sud du pinsapo, soit exactement là où il pourrait gêner son voisin pour qu’il profite du soleil (phénomène bien visible sur la photo ci-contre prise vers 14h). Le processus de photosynthèse est, rappelons-le, indispensable à tous les végétaux . Le séquoia, dès lors qu’il fut planté, a probablement pris de la hauteur rapidement pour rattraper en quelques années le sapin d’Espagne à la croissance plus lente. On peut alors imaginer que ce dernier ait fait en sorte de ne pas laisser cet usurpateur de séquoia le priver du soleil. A noter qu’à ce jeu là, c’est l’américain qui risque d’avoir le dernier mot !
Autre hypothèse, le sapin d’Espagne aurait poussé de façon à adopter une forme aérodynamique en prenant en compte son voisin afin de lutter contre les vents violents. Une théorie tout à fait plausible car malgré les tempêtes qui ont ravagé de nombreux arbres en Vienne, ce duo est non seulement debout mais surtout intact ! La cime du séquoia est fine comme une aiguille alors que nombre de ses semblables se sont fait raboter le citron, allant parfois même jusqu’à rétrécir de plus de 10 mètres. Cette forme ondulante du pinsapo qui semble pouvoir s’imbriquer dans le séquoia comme un puzzle n’est pas anodine.
Un mystère qui interroge sur les formidables capacités d’adaptation des végétaux face aux contraintes de la nature. Quoiqu’il en soit, la visite vaut le détour car bien d’autres arbres sont intéressants dans ce parc totalement libre d’accès en bord de Vienne. Citons un peuplier noir d’Italie qui culmine à 37 mètres, un beau cèdre de l’Atlas de plus de 6m10 de circonférence, un joli frêne à fleurs, un hêtre pourpre, des thuyas géants et une bambouseraie.
Il était recensé comme le plus gros sapin d’Espagne de la Vienne lorsque l’inventaire de Vienne Nature a eu lieu. Pourtant, un autre pinsapo bien plus gros se cache dans le département…

La suite dans quelques jours…

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8 réflexions sur « Découverte de sapins d’Espagne dans la Vienne/Chapitre I : L’étonnant duo de Gouex »

  1. Le duo est impressionnant de rectitude, surtout pour le pinsapo qui est souvent fourchu avec des cime qui semble presque ondoyantes!
    Comment as-tu fait les prise de vue aériennes, tu as un drone?
    En Bretagne, j’ai repéré quelques sujets, dont un situé dans le Morbihan présente une circonférence de 4.35 m (en 2015). Mais il n’est pas très haut et est assez proche de l’architecture de ton prochain sujet…

  2. Belle trouvaille !
    Intéressant cette enquête sur l’origine des hauteurs !
    ça fait un petit moment que je m’interroge sur la technologie en photographie par drone et les rendus possibles. Et bien, je dois écrire que ça donne bien et je pense même que pour beaucoup d’arbres il ne manque plus que ce genre de clichés aériens pour mieux les mettre en valeurs.

    Un exemple suisse de mesure et photos par LIDAR (c’est un peu plus cher à l’achat 😉 ):
    https://www.monumentaltrees.com/fr/che/neuchatel/valdetravers/17372_divisionforestirecov113/

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