Mais que fait-il ici ?
En rase campagne et sans le moindre château à des lieues à la ronde !
Voilà le mystère de l’emplacement du plus gros Séquoia du Dauphiné…
Mais je vous avertis tout de suite, si vous cherchez la réponse à cette énigme, inutile de poursuivre la lecture de cet article. Malgré une enquête minutieuse, le mystère reste entier ! Vous pouvez donc passer votre route sans aucun regret… à moins que votre curiosité arboricole vous pousse à « perdre » quelques minutes sur cette page pour découvrir la drôle de singularité qui unit le Séquoia de Moutongras à un autre Séquoia célèbre… 😉
Quelle surprise de découvrir ce séquoia isolé en rase campagne sur le maigre plateau de Roche, une petite commune rurale du centre Isère.
C’est une position très inhabituelle pour un vénérable séquoia, généralement associé aux parcs des grands domaines privés.
A la fin du XIXème siècle, les riches propriétaires de châteaux et maisons fortes sont friands de ces nouvelles essences exotiques rapportées des terres lointaines. Les séquoias, calocèdres, magnolias ou autres tulipiers deviennent les nouveaux marqueurs sociaux de prestige, remplaçant le traditionnel cèdre du Liban.
Mais à Moutongras, il n’y a pas et il n’y a jamais eu le moindre château !
Alors pourquoi un séquoia a été planté près de ce vieux corps de ferme ? Mystère… et le propriétaire, qui a toujours vécu sur place, n’a aucune information sur l’origine de cet arbre californien. La date de plantation se situerait, d’après les estimations de l’heureux propriétaire, aux alentours de 1880 – 1890, soit peu de temps après la construction du bâtiment de la ferme (la date de 1867 est gravée au-dessus de la porte). Un âge de 130 ans semble en effet tout à fait cohérent avec les dimensions du géant.
Des dimensions qui restent d’ailleurs exceptionnelles pour le département de l’Isère :
en mai 2021, la circonférence prise à 1,30m du sol est de 8,65m (8,28m à 1,50m de hauteur) et l’énorme base du pied mesure 12m.
Il faut reconnaître que ça se joue parfois à quelques centimètres près et vous comprendrez alors pourquoi la précision des mesures a toute son importance, puisque qu’avec un tour de taille de 8,65m, le Séquoia de Moutongras (j’adore ce nom 🙂 ) devient le plus gros Séquoia connu à ce jour dans le département de l’Isère, devant l’emblématique Séquoia de Renage. Il prend même le prestigieux titre de nouveau Dauphin de la province du Dauphiné.
Sa hauteur est en revanche assez faible, à peine 30m (29,50m pour être précis 😉 ), soit 10m de moins que le séquoia de Renage et presque 20m de moins que les Sequoias sempervirens récemment découverts dans le Parc de la mairie de Tullins.
Une faible hauteur qui peut s’expliquer par un possible accident de croissance dans la cime. D’après le propriétaire, ce fantastique paratonnerre aurait reçu plusieurs fois la foudre. Cette faible hauteur est également le reflet du maigre sol sur lequel l’arbre pousse. Sur ce plateau rocheux, on a du mal à imaginer comment le géant a réussi à s’enraciner solidement et à puiser toute son énergie. Il pourrait être sur le passage de l’écoulement d’une source… c’est possible, comme c’est le cas pour d’autres Séquoias gigantesques (Vals-les-bains…)… mais le propriétaire qui exploite cette terre difficile depuis tant d’années a tout de même de sérieux doutes que le Colosse de Moutongras puisse bénéficier d’un peu de fraîcheur.
Et la succession des dernières années de sécheresse commence d’ailleurs à se ressentir sur l’état de santé de l’arbre géant. Plusieurs grosses branches se dessèchent à la cime ce qui a nécessité une petite intervention arboricole pour alléger son houppier.
C’est d’ailleurs une autre particularité de ce Séquoia. Sa silhouette est originale et ne correspond pas à l’architecture habituelle de l’espèce. Il a développé de très grosses charpentières remontant à la verticale, comme plusieurs têtes indépendantes de la tige principale. Sur cet aspect, il ressemble aux incroyables séquoias millénaires de Californie.
La base du pied présente aussi une autre singularité : une étrange protubérance semble recouvrir une ancienne blessure, à moins que ce soit la cicatrisation d’une grosse branche élaguée à la base du tronc.
Cette curieuse singularité n’est pas sans rappeler un autre séquoia célèbre, le Séquoia d’Eloye dans les Vosges, dont la bosse disgracieuse à la base du tronc lui a valu le surnom de Géant de l’Est Bossu !
Voilà le lien qui unit le Séquoia de Moutongras, Colosse du Dauphiné, avec son cousin vosgien d’Eloye, Colosse de la région Grand-Est.
🙂 🙂 🙂
On remarquera aussi, pour notre plus grand plaisir, toute l’estime et tous les soins apportés à ce séquoia hors norme que ce soit par le propriétaire actuel de la ferme de Moutongras mais aussi par la municipalité de Roche qui a entrepris une démarche de classement des arbres remarquables sur sa commune.
Pour la petite histoire, à l’origine la municipalité avait contacté le propriétaire en 2018 pour inscrire dans le PLU un vieux châtaignier placé sur le chemin d’accès à la ferme. Le propriétaire, avec son bon sens paysan, leur avait alors signalé qu’il semblait plus opportun d’inscrire cet incroyable Séquoia… nettement plus méritant qu’un châtaignier creux abritant un nid de frelons 😉
Eh bé y’a bien de quoi tuer le veau gras pour fêter la découverte de ce Moutongras-là ;-DDD (Aïe, je vais me faire tomber dessus par les vegans…)
En tout cas félicitations à la mairie de Roche pour l’inscription de son patrimoine arboricole au PLU communal.
C’est un peu plus efficace pour protéger nos vieux ligneux que les labels d’A.R.B.R.E.S. (pas déméritant pour autant !), même si ça ne les met pas à l’abri d’un coup de tronçonneuse grognon !
Mais quand même… y’a pas un petit château pas très loin ? Peut-être que le seigneur du lieu, enchanté du travail du paysan de Moutongras, lui a fait cadeau d’un plant pour le remercier, et celui-ci dépité car il aurait préféré des espèces plus sonnantes et trébuchantes (un ginkgo biloba par exemple 😉 ) l’a jeté sur le tas de fumier en arrivant à la ferme,… ce qui expliquerait la forte croissante du pépère (je veux parler de l’arbre, pas du fermier :-D)
Et j’en ai plein d’autres d’explications tout à fait plausibles du pourquoi d’un séquoia au milieu de nulle part 😀
Oui je sais il commence déjà à faire très chaud dans mon petit coin du Gard, et pas l’ombre d’un séquoia pour se mettre à l’ombre !
CroissanCe !
(pourtant le petit déjeuner est loin…)
Il faudrait une nouvelle catégorie des arbres énigmatiques, auxquels je pourrais ajouter de vieux chênes verts bocagers.
Étonnant que sur un sol maigre il ai atteint un aussi beau tour de taille a faire pâlir certains aristocrates, pourtant bien choyés. Tous ces petits mystères font le charme de nos recherches !
C’est vrai qu’il est difficile de retrouver l’histoire de ces arbres remarquables isolés au milieu de nulle part, qu’ils aient poussé naturellement puis conservés et épargnés par les hommes ou comme c’est le cas ici, plantés à un endroit inhabituel et dont les raisons peuvent nous paraître bien étranges cent ans plus tard…
Pour le séquoia de Moutongras (quel drôle de nom tout de même 🙂 ), il me fait penser au séquoia de Jonzieux dans la Loire :
http://lestetardsarboricoles.fr/wordpress/2015/07/04/le-sequoia-champetre-de-jonzieux-loire-2/
il avait été planté à plus d’une centaine de mètres de la ferme parce que le propriétaire, passionné par les arbres, avait peur qu’il devienne trop envahissant près des bâtiments.
J’ai bien insisté (peut-être même un peu trop lourdement 😉 ) auprès du propriétaire de Moutongras pour essayer de percer le mystère de cet arbre qui fait l’objet de tant d’admiration depuis plusieurs générations mais finalement il n’y a rien… aucune info, pas même une petite histoire à récupérer sur cette origine mystérieuse…
C’est rigolo, mais j’avais imaginé un peu la même idée que Pat’, peut-être celle d’un cadeau donné au Papi de Moutongras pour services ou travaux réalisés chez un châtelain des environs qui aurait reçu plusieurs plants de séquoia à installer sur son domaine.
🙂 🙂 🙂
Bonjour Castor,
Content de te lire. Quel mystère, ce séquoia au milieu d’un petit village comme celui-ci. Pour les arbres remarquables, on attribue souvent du mérite à un arbre situé dans son écrin (exemple : un tilleul situé sur la place publique proche de l’église), mais on considère rarement un arbre pour un mystère associé à sa situation comme c’est le cas ici. Il y a 130 ans, date de plantation supposée de ce séquoia, ce plant devait coûter très cher. En acheter un pour le planter dans un village, ça aurait été une folie ! Dès lors, on peut imaginer toutes sortes d’histoires 😉
Merci pour cette découverte !
Tu as tout à fait raison Aurélien, il faut effectivement se remettre dans le contexte de la fin du XIXème siècle. A l’époque, il ne suffisait pas d’aller au Jardiland ou au Botanic de la zone commerciale pour trouver ces plants d’arbres exotiques 🙂 Ces nouvelles espèces fantastiques étaient très rares et faisaient souvent un long voyage sous forme de petits plants soigneusement emballés pour traverser toute l’Europe depuis les rares producteurs vers des acheteurs privilégiés (riches propriétaires et collectionneurs).
ça rappelle l’histoire du Séquoia de Banassac :
https://lestetardsarboricoles.fr/wordpress/2018/11/22/la-drole-dhistoire-du-sequoia-de-banassac-lozere/
On peut se demander alors comment cet agriculteur en s’installant à Moutongras a pu acquérir un plant si précieux.
Peut-être un plant issu d’un lot fraîchement arrivé chez un riche propriétaire ? Mais il n’y a aucun vieux séquoias datant de 1880-1890 à plusieurs dizaines de km à la ronde de la ferme de Moutongras.
En Isère, c’est dans le Voironnais que l’on rencontre le plus de vieux séquoias, ils étaient appréciés pour orner les parcs des domaines des riches industriels (les Soyeux…). Peut-être que notre agriculteur de Moutongras travaillait à l’époque sur l’un de ces domaines de Voiron et qu’il a pu bénéficier d’un plant de séquoia ?
Merci Castor pour cette mystérieuse découverte, je vais l’inscrire sur notre inventaire.
A bientôt,
Eric.
Bien-sûr Eric il faut qu’il intègre l’inventaire des séquoias.
Tu peux utiliser les photos que tu veux.
🙂 🙂 🙂