Retrouvons Rémy, qui à son habitude (voir la catégorie Japon), nous emmène sous d’autres cieux!
Si la Polynésie fait à peu près la taille de l’Europe, la somme des surfaces des terres émergées des archipels polynésiens ne dépassent pas celle d’un département français. Dans cet ensemble, Tahiti est, et de loin, la plus grosse des îles, mais aussi la plus élevée (point culminant à plus de 2000m). Si je devais classer le climat local je dirais que le climat tahitien est à mi-chemin entre le climat tropical maritime et le climat équatorial. Au niveau de la mer, les températures nocturnes ne descendent qu’exceptionnellement sous les 20°c et il peut pleuvoir (beaucoup !) en toutes saisons, même si la période novembre / mars est la plus arrosée. Les cyclones sont rares et ne frappent de plein fouet les îles qu’une à deux fois par siècle en moyenne.
Je me permets cette introduction climatologique car ce climat incomparable avec les climats européens est lourd de conséquence sur les formations végétales. Primo, on ne trouve à Tahiti que des espèces supportant la « tropicalité », même si certaines espèces typiques du climat méditerranéen (figuier par exemple) parviennent à survivre. Secundo, le climat en permanence chaud et humide est sans pitié pour les arbres blessés ou ayant subi une taille trop sévère. La pourriture se développe rapidement, affaiblissant dramatiquement les structures. Tertio, les cyclones, mêmes rares, peuvent produire des vents d’une extrême violence (rafales à plus de 250km/h) face à laquelle les arbres les plus solides sont bien démunis. Ainsi si la croissance permanente des arbres assure de trouver des sujets avec de belles proportions (je vous en proposerai un qui pulvérisera bien des records….), il est en revanche très rare d’observer des sujets vraiment vieux. En dehors des banians, les arbres plus que centenaires sont assurément bien moins nombreux qu’en Europe.
Depuis mon arrivée à Tahiti en octobre 2009 j’ai eu le temps de sillonner l’île en tous sens. J’ai donc pu me faire une idée des arbres que l’on y trouvait. Plusieurs sujets sont à venir. Pour commencer, je vous propose une espèce très commune en milieu tropical mais relativement récente en Polynésie (apport Européen, probablement au 18ème siècle) : le manguier. Le manguier est l’arbre de tous les jardins de la ceinture intertropicale. Sa forme est invariablement arrondie avec un tronc court et de puissantes charpentières, un feuillage persistant et très dense. Les fruits, les mangues, sont un véritable délice… Ses feuilles allongées, épaisses et son allure générale m’ont tout de suite fait penser au châtaignier lorsque je rencontrais mes premiers manguier dans le Moyen Ouest malgache il y a de cela une quinzaine d’années. Malgré près de 10 années de pérégrinations tropicales, je n’ai jamais rencontré de manguiers véritablement colosses et celui que je vous présente aujourd’hui est certainement représentatif des plus gros sujets que j’ai rencontré (je n’ai jamais pensé à faire des mesures à Madagascar…).
Le manguier Tutehau est un manguier urbain qui pousse au beau milieu de l’agglomération de Papeete dans la mince plaine littorale du quartier Farepiti. A la fin du 19ème, ces terrains étaient occupés par une vaste plantation de canne à sucre et d’après les renseignements récoltés, notre manguier se dressait déjà au milieu de ces plantations lorsque fut pris ce cliché. Avec un périmètre de 4m60 à 1m50 de haut l’arbre a assurément dépassé le siècle. Cela signifie aussi qu’il a résisté (sans blessures majeures) à deux cyclones importants (mais pas extrêmes) en 1906 et en 1983.
A ce sujet, la propriétaire du manguier (que je remercie pour son accueil chaleureux) m’a précisé qu’après le cyclone Veena de 1983, les habitants du quartier grimpaient dans toutes les branches du manguier pour récupérer les tôles de toiture qui s’y trouvaient coincées. L’arbre lui, ne broncha pas. La résistance de cet arbre est également hors du commun face à un autre ennemi non moins redoutable : la pression immobilière !! Elle est loin la plantation de canne à sucre… Le quartier est désormais construit de toute part et le beau manguier « Tutehau » (du nom du grand père de la propriétaire actuelle) est en situation très précaire. Chaque année les services de l’Etat l’examinent pour chercher une éventuelle faiblesse pouvant justifier son abatage. De leurs côtés, les riverains réclament régulièrement un élagage au propriétaire…mais aussi des mangues et de l’ombre !
Malgré ces diverses « pressions » l’arbre est encore fermement accroché à la terre de ce quartier car il bénéficie d’un amour sans limite de la part de la propriétaire et de sa fille. Il faut dire que le lien entre elles et ce manguier est viscéral, au sens propre du terme. En effet, une tradition polynésienne consiste à déposer le cordon ombilical dans la terre à la naissance des enfants. Et celui de la fille de la propriétaire aurait été enterré au pied de ce manguier… Quand je dis viscéral…
L’arbre est en pleine santé et tout à fait représentatif de son espèce. Tronc court et solide, branches puissantes, frondaison épaisse, gros fruits gorgés de sucre. Il n’y a aucune forme de faiblesse visible en dehors de la coupe déjà ancienne et à 1m du tronc d’une grosse charpentière désormais creuse et abritant de temps à autre un nid d’abeille. Nul doute que son point faible se trouve à ce niveau et que les lignivores ont probablement déjà bien engagé leur discret travail de sape en direction du tronc.
Les photos montrent bien la position que cet arbre occupe dans son environnement (typique tahitien soit dit en passant…) Enraciné à deux pas d’une maison « locale » il apporte une ombre et une fraîcheur bien appréciable à son voisinage. Il est certain que son éventuel effondrement pourrait avoir des conséquences dramatiques, mais des maisons ou du manguier, il n’est pas certain que ce soit l’arbre le moins résistant…
On remarquera sur les photos une desquamation active de l’écorce sur le tronc et les charpentières. La propriétaire m’a signalé que cela intervenait régulièrement, plutôt en saison des pluies. Elle me fit remarquer également qu’à la saison « fraîche » (de mai à octobre) l’arbre ne portait des fruits qu’à l’Est et à l’Ouest alors qu’en saison chaude il en portait sur tous les quadrants de son houppier. Est-ce là une adaptation classique à la variation de l’ensoleillement ? Je ne saurai l’assurer…
Avec ses 4m60 pour une hauteur estimée à 25m maximum, ce manguier est le premier à prendre place dans l’inventaire des têtards, j’espère que d’autres sujets viendront étoffer cette nouvelle lignée et que l’on verra ainsi apparaître des arbres encore plus imposants.
Merci Rémy de nous faire découvrir ce beau manguier qui avec cette circonférence et sa belle forme doit se remarquer de loin .
La découverte d’arbres « exotique » est un vrai plaisir.
Merci également pour le partage.
Il y a un autre article de Rémy sur le feu! Un autre superbe spécimen…
C’est chouette d’avoir un reporter outremer!
Excellent 🙂
Un article qui recharge les batteries en hiver ! ça fait un bien fou ce rayon de soleil !
Quel plaisir de nous ouvrir les yeux sur des horizons lointains ! On en redemande 🙂
Juste une petite question : 4,60m pour un arbre plus que centenaire, ça ne me semble pas excessif sous un climat tropical et dans un environnement qui semble assez favorable ???
Je suis heureux de constater que ce manguier vous apporte du plaisir….et du soleil!
Pour répondre à la question du castor masqué, j’ai remarqué que les Manguiers avaient une croissance particulièrement lente qui semble limitée à la saison humide. Un manguier de 5 ans est à peine plus grand qu’un homme, c’est donc très loin d’être un sprinter ! Par contre, dans mon reportage à venir, tu verras qu’il existe sous ces latitudes des arbres à la croissance bien plus fulgurante….
Quelle chance d’avoir un têtard-reporter qui parcourt le monde et nous régale de ses découvertes exotiques.
Merci Rémi pour le dépaysement et les rayons de soleil.
J’ai fait suivre ce bel article à ma petite soeur (« Castorette des Iles »), qui a longtemps vécu en Polynésie avant de revenir en Provence.
Je lui est demandé son avis sur le caractère remarquable de ce manguier, voici sa réponse :
« Suite à la publication que tu m’as fait suivre, je te fais part de mon étonnement ; je partage entièrement le caractère exceptionnel de ce manguier VEI TUMU et j ‘en salive en pensant a la tonne de mangues que le propriétaire doit ramasser au seuil de sa maison !
J’aurais fais comme lui ; repousser les services de voiries pour conserver ce garde manger même au risque de perdre sa maison !
surprenant qu ‘il puisse avoir échappé aux multiples cyclones ( bien plus que deux depuis 100 ans , en moyenne 1 gros toutes les décennies ) Par contre , sur la photo au premier plan , je te présente le URU TUMU , le fameux arbre à pain , qui peut présenter un risque non négligeable en cas de forts vents Il présente effectivement des branches très fragiles Par ailleurs, son origine est intéressante , lui aussi importé au XVIII è siècle, ce sont les révoltés du Bounty qui l ‘introduisirent en Polynésie et il produit deux fois par an ses énormes fruits ; avec ces deux arbres hors normes le propriétaire est comblé et doit confortablement nourrir sa famille (nombreuse et gourmande ….en Polynésie )
comme mot de fin, un grand TAMA’A MAITAI ( bon appétit à cette heureuse famille !!!) »
Castorette des Iles