Les cembraies sont plutôt rares dans les Alpes du Nord. Le Pin cembro est surtout inféodé aux Alpes internes, avec une préférence pour les derniers étages de la végétation forestière des versants les plus ensoleillés.
La présence du pin cembro sur le site de Chamrousse (Massif de Belledonne) est donc particulière à plus d’un titre :
– il représente la limite occidentale de son aire de répartition (Chamrousse, c’est leur Far West 😉 )
– c’est le seul endroit où le pin cembro se trouve en mélange avec le pin à crochets
Mais à près de 2000m d’altitude, les conditions de vie sont extrêmes et les liens qui unissent cet écosystème bien fragiles.
La cembraie de Chamrousse a été fortement menacée dans les années 80-90 sous la pression du développement de la station de ski, jusqu’à son classement en site Natura 2000 grâce au long combat mené par une petite association de protection de la nature, l’ADHEC.
Le site classé, incluant cembraie, pelouse, lacs et tourbières, représente 3000 hectares… sur des versants abruptes et rocailleux… J’ai parcouru à plusieurs reprises ce vaste secteur pour tenter de dénicher les pins cembros qui me semblaient les plus remarquables (taille, forme, âge) mais sans pour autant réaliser un inventaire exhaustif (l’ONF a réalisé un inventaire au début des années 2000 mais il n’est pas diffusé publiquement).
Voici donc un aperçu des quelques Pins cembros les plus extraordinaires selon trois zones distinctes : Secteur Pourettes, Secteur Gaboureaux, Secteur Roche-Béranger.
Les photos et les mesures ont été prises entre 2015 et 2018
- Le secteur des Pourettes
Cette zone est la plus petite et excentrée du restant du massif. Elle s’étale de la Grande Aiguille jusqu’à la Brèche Robert Nord, de 1770 à 2070m d’altitude. Aucun aménagement pour le ski alpin ne traverse cette zone, c’est le secteur le plus sauvage. En revanche, elle reste assez fréquentée par les pratiquants du ski de rando (une approche de la montagne très à la mode ces dernières années). L’exposition de ce massif est principalement ouest mais varie du sud-ouest au nord-ouest.
Huit pins cembros remarquables ont été enregistrés. Les deux plus gros pins se trouvent dans la partie basse de la zone, entre Casserousse et le Lac des Pourettes. Au Nord de la Brèche Robert, un groupe de pins cembros au-dessus d’éboulis dangereux ne peut être admiré qu’à bonne distance par mesure de sécurité.
Les circonférences (lorsque la forme du tronc permet de les mesurer à 1,30m du sol) varient de 2m à 3,30m (pour « Le Président des Pourettes »). Les hauteurs totales sont plus faibles que sur les autres secteurs, comprises entre 9 et 12m. L’état sanitaire est difficile à déterminer chez les pins cembros tant ils possèdent une faculté incroyable de résilience pour faire face à leur environnement montagnard extrême (neige, éboulis, foudre, faune… skieurs hors-piste).
Quelques portraits de pins sélectionnés sur les Pourettes :
Le Président des Pourettes (il porte une ancienne pancarte en bois dont l’inscription a disparu avec le temps).
Le Magnifique et L’Affreux des Pourettes
L’Inaccessible et le Cannibale des Pourettes
- Le Secteur des Gaboureaux
Cette zone centrale du massif concentre les pins cembros les plus spectaculaires de Chamrousse. Elle s’étend du Col de La Balme jusqu’au au téléski du Schuss des Dames et sur un gradient d’ouest en est de 1750 à 2020m d’altitude. L’exposition du versant est principalement Ouest. La cembraie forme à certains endroits des peuplements assez denses avec toutes les classes d’âge. Peu de pistes de ski traversent cette zone, elle est donc moins exposée que le secteur de Roche Béranger. Seuls les skieurs hors-piste peuvent représenter une menace pour la régénération de cette cembraie.
Dix pins cembros ont été enregistrés dans ce secteur en tant qu’arbres remarquables. Les circonférences varient de 2,50m à 3,80m (« Le Président des Gaboureaux ») et les hauteurs entre 10 et 17m. L’optimum de croissance semble se situer entre 1850 et 1900m d’altitude.
Portrait de quelques pins sélectionnés sur le secteur des Gaboureaux :
Le Président des Gaboureaux
Et quelques sujets tout aussi magnifiques portant chacun un petit nom familier pour faciliter leur reconnaissance au-delà des relevés GPS :
- Le Secteur de Roche Béranger
C’est la zone la plus méridionale de la cembraie, là où se mêlent quelques pins à crochets. La zone du Pin à crochets prolonge celle du pin cembro vers l’Est du Massif en direction du Lac Achard. Pour info, ces pins à crochets avaient déjà fait l’objet d’un article sur notre blog : ici.
La cembraie n’est pas continue, elle forme ce que l’on appelle des prébois. Les pins cembros sont regroupés par petits ilots de quelques ares autour de petits monticules rocheux en bordure des pistes de ski.
En effet, c’est le secteur le plus exposé à la pression des skieurs, les pistes quadrillent tout le massif et la pratique du hors-piste est très fréquente. Plus tard en saison, les parcours intensifs des 4×4 sont également très préjudiciables.
Vingt pins cembros ont été enregistrés en tant qu’arbres remarquables avec des circonférences allant de 2 à 3m et des hauteurs de 9 à 18m. L’état sanitaire, bien que difficile à juger, semble plus dégradé que sur les deux autres secteurs de Chamrousse. Vers la zone des pins à crochets, plusieurs vieux pins morts sont tombés au sol et laissés en l’état; ils suivent l’évolution du cycle naturel de la cembraie.
Le Solitaire et Le Totem, deux pins emblématiques de Roche Béranger
Le Candélabre des containers
Le Déplumé et Bou-Boulle
Le Brulé et Le Kid Park
La Ganivelle et Le Tremplin VTT
Le Caméléon et tant d’autres…
En matière de cembraie remarquable, la forêt de l’Orgère en Haute-Maurienne (Parc de la Vanoise) reste la référence dans les Alpes du Nord, à lire l’article sur notre blog : ici. On est bien sûr tenté de comparer celle de Chamrousse avec la célèbre cembraie savoyarde.
D’un point de vue dendrométrique, le site de Chamrousse reste dans des dimensions légèrement inférieures. Les plus gros cembros ne dépassent pas les 3,50m de circonférence alors que certains arolles de l’Orgère atteignent les 4m de tour. Les hauteurs sont également en moyenne 2-3m supérieures à l’Orgère : environ 13-14m, contre 10-12m à Chamrousse bien que certains cembros isolés peuvent dépasser les 16m. L’âge estimé pour la cembraie savoyarde est d’environ 400 ans pour les plus vieux pins. Les plus vieux arolles de Chamrousse ne devraient probablement pas dépasser les 300 ans.
Les deux cembraies se trouvent sur un versant ouest. Cette exposition est l’optimum pour le développement du pin cembro. A l’Orgère, la tranche altitudinale se situe entre 2000 à 2300m, avec un optimum vers 2050m, alors que la cembraie de Chamrousse s’étale de 1750 à 2100m, avec un optimum vers 1850-1900m d’altitude.
La forêt de l’Orgère est un mélange de mélézin et de cembraie, tandis que le site de Chamrousse offre la particularité d’avoir du cembro en mélange avec du pin à crochets.
On se rend compte que la comparaison entre ces deux cembraies remarquables des Alpes du Nord présente assez peu de similitudes. Le seul vrai point commun est peut-être qu’elles ont bien failli disparaitre à cause de la pression humaine : intérêt commercial pour la ressource en bois à l’Orgère et menace du développement de la station de ski à Chamrousse.
Rappel de la démarche de sauvegarde menée par L’ADHEC :
Cette petite association de protection de la nature se bat depuis 40 ans pour la sauvegarde et la mise en valeur de l’environnement écologique de Chamrousse, un site auquel les Grenoblois sont très attachés.
Il faut savoir que Chamrousse est lié au patrimoine olympique des JO de 1968 qui se sont déroulés à Grenoble. Sur ses pistes, les plus grands skieurs français se sont illustrés dans les épreuves reines du slalom. Après 1968, de nombreuses pistes ont été ouvertes pour développer la station de Chamrousse et c’est à ce moment que la cembraie a commencé à être menacée.
Au début des années 80, l’Association alerte la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt, puis le service de la RTM (Restauration des Terrains de Montagne) du risque de disparition de la cembraie. Mais les intérêts économiques du développement de la station restent importants et les collectivités leur répondent que le pin cembro et le pin à crochets ne sont pas des espèces protégées…
Des études sur ce patrimoine naturel sont lancées au début des années 90 et malgré les conclusions scientifiques sur la nécessité absolue et urgente de protection à mener, aucune démarche n’est entreprise dans ce sens.
Au printemps 1999, 10 000 pins cembros (originaire de Gap) sont plantés sous l’initiative de l’ADHEC et de la Mairie. Mais très peu survivront par manque d’entretien dans les années qui ont suivi. D’autres plantations suivront, mais sans les résultats escomptés.
Début des années 2000, quelques mesures de protection apparaissent sur des secteurs très localisés (tourbière de l’Arselle et Lac Achard).
En 2010, l’ONF réalise un inventaire complet de la cembraie et propose un plan de gestion sylvicole sur 5 ans. Ce sont les premières actions concrètes qui visent à protéger enfin la cembraie remarquable de Chamrousse.
Mais le véritable héros dans cette histoire, le seul et unique responsable de cette incroyable richesse écologique, c’est le Cassenoix masqué (dont le nom officiel est le Cassenoix moucheté).
Son royaume : la cembraie; sa seule source de nourriture : les graines du pin cembro et grâce à ses fréquentes pertes de mémoire, il participe activement à la dissémination des graines pour la régénération naturelle de la cembraie… Un équilibre parfait, mais oh combien fragile ! D’autant plus que les années de semence du pin cembro ne sont pas régulières, en moyenne une fois tous les 7 ans, seulement ! Alors dès la fin de l’été, Le Cassenoix se met à l’ouvrage et débute son carnage en pulvérisant tous les cônes de pins cembros pour en extraire les graines. Au pied de certains pins, le sol est jonché de ces débris d’écailles et de trognons… oubliant par la même occasion une bonne partie des graines.
Un vrai super héros, qu’il est difficile de démasquer car il garde toujours une bonne distance de sécurité avec les bipèdes traversant son royaume.
La France est un pays vraiment sympathique, comme nous le montrent tes clichés qui donnent envie (j’adore le secteur des Pourettes). Merci pour cette découverte !
Salut Aurélien,
oui le secteur des Pourettes est aussi mon coin préféré… en plus j’y retrouve mes copines les marmottes 😉
Très bel article, riche en photos et spécimens !!
Je connais assez peu cette espèce d’altitude, mais il est vrai qu’en terme de résilience, on doit avoir du champion dans ce domaine.
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