Le « chêne au gibet » de Barvaux-Condroz et le tilleul de Méan, Belgique

Retrouvons Renaud en Belgique avec un beau doublé!

On retrouve dans cette belle région du Condroz à la découverte d’un arbre à la dénomination étonnante : le « chêne au gibet » de Barvaux-Condroz. 
Situé aux confins d’une route de campagne, non loin du château de Ramezée – dont le parc privé comporte un châtaigner d’un peu moins de 7m de diamètre -, ce chêne pédonculé (Quercus robur) se trouve aujourd’hui à l’entrée d’un bois (50°19’15.88″ N 5°16’40.75″ E).

L’histoire commence le 8 juillet 1708, vers 17h lorsque Gilles Sinsin – prêtre-chapelain du château de Barvaux – est abattu d’un coup de bombarde ou d’escopette. Ayant avoué le meurtre, Lambert Dehaix est torturé, pendu et enterré à proximité du lieu de son exécution le 23 novembre 1709. Il n’est certainement pas le seul à avoir connu la même fin dans la localité, mais n’étant pas enterrés en terres chrétiennes, leurs noms ne figurent pas dans les registres de la paroisse. La personnalité de la victime explique peut-être cette exception.
Une peine capitale documentée, un vieux chêne au lieu-dit « au gibet », il n’en fallait pas plus pour rapprocher les deux… Sauf que l’histoire est un peu trop belle pour être vrai… Trois choses ne concordent pas:
– Je n’ai pas pu me procurer le texte original parlant de cette exécution (seulement une recopie partielle), mais il n’est nullement question d’un arbre dans ce texte.
– La carte Ferraris dressée en 1770 et 1778 figure bien un gibet presque à l’emplacement de l’arbre. Mais il s’agit bien d’une potence, aucun arbre n’est spécialement représenté (alors que plusieurs autres individus remarquables sont représentés dans la campagne voisine). Pour ceux qui veulent vérifier: Carte N°156 – HEURE;
N.B.: le chêne se trouve pratiquement à l’angle de la frontière entre le Duché de Luxembourg et la Principauté de Liège. Une comparaison avec le premier cadastre dressé 70ans après rend l’hypothèse du chêne marquant la frontière séduisante. À fouiller donc…
– La croissance de l’arbre est bien documentée depuis le début du XXème siècle:
1910: 464cm
1917: 492cm
1977: 544cm
2000: 562cm
2007: 566cm
2021: 587cm
Dans son livre « La mémoire des arbres – Tome 1: Le temps, la foi, la loi », Benjamin Stassen calcul grâce aux dates de 1910 et 2000 une croissance de 99cm en 90, soit 1,1cm/an. Il estime son âge a 300ans (et non « 375 à 400ans » comme indiqué sur le panneau sur l’arbre). Toujours est-il que son estimation relayerait l’arbre à l’état de jeune plant au moment des faits… si toutefois il avait déjà germé! Impossible donc qu’il ait pu servir pour des pendaisons à l’époque.
Ces éléments poussent donc à croire que le vieux chêne n’est pas lié au gibet. Ils ne devaient pas être connus (ou pris en considération) lorsque l’arbre a été classé comme site le 20 décembre 1979… Classer un arbre comme site reste une chose rare: seul une trentaine d’arbre ou groupes d’arbre ont cette chance… mais il s’agit souvent d’arbres insignifiants qu’on a cherché à protéger d’un abattage à court ou moyen terme…
Son classement comme site aura toutefois un avantage: si il doit être abattu (la vétusté est le seul motif valable), il devra obligatoirement être replanté par un individu de la même espèce.
Maintenant que nous avons parlé de son histoire (supposée) et son statut juridique, venons en a ma visite: sans surprise, j’ai découvert un chêne dépérissant: les 3/4 de l’écorce sont mortes ou tombés. Ça descente de cime est récente vu la taille des branches mortes encore en place. Toutefois, il n’est pas encore complètement mort: le petit quart d’écorce encore vivant alimente encore quelques branches du côté Sud de l’arbre, le seul côté où il n’est pas entouré d’arbres plus grands qui lui font concurrence. Au moment de ma visite, il commençait tout juste à bourgeonner.
J’ai mesuré 587cm à1m50 (je ne m’explique pas cette hausse alors qu’il semble avoir perdu récemment une partie de son écorce).
J’ai aussi mesuré 562 cm à 1m25 (une mesure de 542cm à 1m25 est indiquée sur le panneau sur le tronc. Elle a probablement été relevé peu avant le classement, peut-être en 1977 donc).
Si il ressort de ma visite que cet arbre n’a probablement aucun intérêt historique, cela reste un beau gros chêne qui tire doucement sa révérence loin des regards mais dont on peut au moins être certain qu’il sera remplacé…

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Tant que nous sommes dans le coin, parlons d’un tilleul situé 6km plus loin à l’entrée d’un cimetière: le tilleul de Méan.
Ayant atteint 6m85 en 1985, ce tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) est pourtant passé par la très petite porte: l’usage excessif d’herbicide – qui emportera l’autre tilleul situé à l’angle Nord-Est du cimetière – puis un violent coup de vent qui abat une partie de la ramure le 23 juillet 1988 ont bien failli lui être fatal. La taille sévère qui a été pratiqué ensuite semble lui avoir été profitable: lors de ma visite, l’ensemble de la ramure commençait à bourgeonner et les différentes parties du pan-de-bois restant sont vigoureuses.
Toujours dans son livre « La mémoire des Arbres-Tome1 », Benjamin Stassen voit en lui un arbre à plaies du fait de son emplacement à l’entrée du cimetière et de sa proximité avec l’église (même si elle ne date que 1874 et qu’on ne connait pas son ancien emplacement). Si une inspection attentive du tronc restant ne montre aucun clou ou ex-voto, je remarque quand-même qu’un autre tilleul a été planté juste devant la porte de l’église, endroit idéal pour perpétuer cette tradition!
Pour ce qui est des mesures, j’ai relevé 486cm à 1m50. L’arbre me parait vigoureux et semble avoir terminé sa déformation dû à la perte d’une partie de son tronc.
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La référence du livre cité:
STASSEN Benjamin. 2003. La mémoire des arbres – Tome 1: Le temps, la foi, la loi. Sans lieu. Racine. 315p

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8 réflexions sur « Le « chêne au gibet » de Barvaux-Condroz et le tilleul de Méan, Belgique »

  1. Intéressantes toutes ces histoires d’arbres « historiques » (ça relie deux de mes passions : l’Histoire et les arbres).
    En effet ce n’est certainement pas l’arbre originel auquel on pendait les condamnés au 18e siècle… mais peut-être a-t ‘il été planté sur le lieu d’un ancien gibet mis hors service (si on peut dire)…
    Hihi en lisant le panneau sur l’arbre j’ai sursauté en voyant « un arrêté royal en 1979″… j’avais oublié que nous étions en Belgique… (et en 1708 ces terres dépendaient de quel état ?)
    Ce qui est marrant aussi c’est que sur ce même panneau se trouvent les indications pour trouver l’arbre… je suppose que c’est un extrait d’une parution sur papier qui n’a pas été adapté au contexte !

    En ce qui concerne le tilleul, je ne sais pas ce qu’est un arbre à plaies ???

    Merci de ce dépaysement Renaud, finalement j’aime bien les édits royaux quand ils obligent à replanter un arbre défunt 😉 On a pas ça en République !

  2. Bonjour Pat,

    Sur la Carte Ferraris, nous sommes à la frontière du duché de Luxembourg et de la principauté de Liège. Mais si des échevins de Liège sont venus pour juger le meurtre à Barvaux-Condroz, c’est que le village est bien en Principauté. La principauté de Liège aura été un état autonome de 985 à 1789 et quelques personnalités qui se sont illustrés en France sont en réalités principautaires (je pense au peintre Pierre-Joseph Redouté, le compositeur André Gretry et peut-être l’ingénieur Rennequin-Sualem…).

    Un « arbre à plaies » désigne un arbre dans lequel on venait planter (ou accrocher) des ex-voto, préalablement mis en contact avec une pathologie, pour espérer une guérison.
    Si la tradition est passée de mode, il reste encore énormément d’arbres arborant des clous en Belgique.

    Ps: seul les arbres classés comme monument sont certains d’être replantés… bien que désormais TOUS les arbres sont considérés comme remarquables et demandent un permis d’urbanisme pour être modifiés ou abattus! Il serait peut-être utile de faire un article hors-sujet pour parler de la situation juridique des arbres en Belgique…

  3. Merci Renaud pour ces réponses.
    Je ne crois pas que dans mon coin du Midi (de la France) la coutume des arbres à plaies soit bien développée, je n’en connais pas en tout cas.
    En même temps le culte de l’arbre n’est pas très développé par chez nous non plus 🙁 (à part 2 ou 3 « illuminés »).
    Oui ce serait une bonne idée (pas hors sujet du tout) que de présenter le statut juridique des arbres en Belgique sur le blog des Têtards.
    Des fois que nos édiles en prendraient de la graine…. 😉

  4. Une belle recherche sur cet arbre historique où se mêlent légendes et faits avérés.
    🙂 🙂 🙂
    Le statut des arbres remarquables semblent particulièrement bien avancé en Belgique, ce serait intéressant que tu en dises plus sur notre petit blog.
    En tout cas c’est chouette d’élargir les horizons en nous faisant voyager et découvrir les beaux arbres de Belgique, on attend la suite ! 🙂

  5. Bonjour,

    SI Yannick M. est partant pour publier un article la protection juridique des arbres remarquables en Wallonie (car il y a trois politiques différentes entre la Wallonie, Bruxelles et la Flandres! Parce que la Belgique est un pays simple… sinon ce ne serait pas drôle!) et que quelqu’un est partant pour faire de même pour la France/la Suisse ou d’autres pays ou régions, moi je suis partant!

    • Salut Renaud, aucun problème pour mettre en ligne un article sur la protection juridique des arbres en Belgique! Pour les autres pays, il nous faut des volontaires, en de France le CAUE 77 à bien synthétisé les choses.

  6. Oui le sujet de la protection des arbres en France est pleinement dans l’actualité, l’association ARBRES communiquent beaucoup à ce sujet depuis 2-3 ans. Mais il semble être nettement moins avancé que dans d’autres pays plus nordiques comme l’Angleterre et la Belgique.
    Il serait intéressant de nous présenter la situation actuelle en Belgique… certainement de bons enseignements à tirer pour les réflexions menées actuellement en France.
    🙂 🙂 🙂

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