L’Arbre de la Mutualité à Artas (Isère) – Pour mémoire –

N’espérez pas trouver dans cet article le récit de la découverte d’un méga Séquoia, ou la rencontre avec un Douglas de 70m de hauteur au fond d’une vallée auvergnate ou encore les reliques d’un olivier corse âgé de 2000 ans…
Au premier abord, l’Arbre d’Artas pourrait sembler très ordinaire et son histoire être associée à une banale fête de village. D’autant plus que l’Arbre a disparu peu de temps après sa plantation et que la mémoire collective l’a effacé depuis déjà bien longtemps.
Et pourtant, cet Arbre est associé à une histoire incroyable qui s’est déroulée en 1906 dans ce petit village isérois ! Le genre d’Histoire qui devrait s’écrire avec un grand H, mais qui reste injustement méconnue et qui fait du village d’Artas, le précurseur d’un événement qui deviendra bien plus tard planétaire…

Et puisque notre blog a pour vocation « l’Arbre dans tous ses états », nous nous intéresserons plus particulièrement à la version arboricole de cette histoire 🙂

Cette carte postale ancienne colorisée du début XXème siècle montre un jeune arbre planté dans la cour de l’école des garçons – Il pourrait être l’Arbre de la Mutualité planté en 1906… mais sans aucune certitude !

L’histoire qui s’est déroulée à Artas n’est connue que très localement, tout juste dans les petites communes avoisinantes. Et n’étant pas moi-même originaire du Dauphiné, je ne l’ai découverte que par hasard en lisant l’ouvrage de Gilbert Coffano, « Le Dauphiné mystérieux et légendaire ».
Mais avant de plonger dans le contexte arboricole qui nous intéresse, il est important de présenter tout d’abord l’incroyable histoire qui s’est déroulée à Artas en 1906.
Une histoire dont le héros n’est autre que l’instituteur du village, Prosper Roche, un véritable visionnaire et précurseur pour son époque.
En 1904, le jeune instituteur crée une société de secours mutuels (les mutualités étaient très en vogue en ce début XXème siècle) nommée l’Union fraternelle des pères de famille méritants d’Artas.
Mais l’instituteur du village est aussi le père d’une famille nombreuse de 7 enfants… une situation fréquente à l’époque. Et dans cette période d’accroissement de la population française d’après 1870, Prosper Roche a bien conscience de toute l’importance du travail réalisé par les mères au foyer. Il trouve que leur rôle dans la famille et dans la société n’est pas reconnu à leur juste valeur. Il ajoute donc une clause particulière aux statuts de sa nouvelle mutualité en précisant qu’il conviendra aussi d’honorer annuellement les mères de famille nombreuses lors d’une cérémonie publique.
Voilà une bien noble cause qui trouve rapidement un écho favorable auprès des grandes personnalités régionales et le soutien de plusieurs centaines lettres venant de toute la France. Il reçoit même l’appui du Président de la République de l’époque, Emile Loubet ! Il écrit alors les bases d’un texte qui seront repris bien plus tard : « Le mérite caché et si souvent méconnu des mères de famille nombreuse, qui se font remarquer par les soins dévoués et intelligents qu’elles prodiguent aux enfants…« 
Puis la date de la cérémonie est fixée. La première reconnaissance officielle des mères de famille nombreuse aura lieu lors de la grande fête du village, le 10 juin 1906, à l’occasion de la création de la nouvelle Mutualité. Le déroulement de la fête est organisée dans les moindres détails par Prosper Roche et il prévoit un moment pour honorer de façon prestigieuse deux mères de famille nombreuse du village. Elles recevront chacune le diplôme de Haut mérite maternel ainsi que la coquette somme de 25 francs.


La même année, le jeune instituteur d’Artas, enthousiasmé par la réussite de la cérémonie écrit un courrier au ministre de l’époque lui suggérant de créer « une journée spécialement réservée aux mères méritantes« .
C’est donc bien le 10 juin 1906, dans ce petit village isérois, qu’est née la première Fête des Mères !

Mais il faudra attendre encore quelques années avant que la France crée tout d’abord la Journée Nationale des Mères de Familles Nombreuses, en 1920, puis consacre une journée à toutes les mamans en 1926. Et enfin, en 1941 le Maréchal Pétain sous le régime de Vichy popularisera cette fête en y associant l’École pour que chaque enfant prépare un petit cadeau pour sa maman (au choix, le traditionnel collier de nouilles ou la boite à bijoux-camembert 😉 ).

Note : Le Mother’s Day américain, dont on dit souvent qu’il est l’initiateur universel de la Fête des mères ne date que de 1914.

Fresque murale réalisée en 2007 en l’honneur de la première célébration de la Fête des Mères à Artas

Et comme dans tous les grands événements, cérémonies et célébrations qui se respectent, il est de tradition en France de finir par un banquet mais aussi de planter un ARBRE !
Enfin, on arrive au sujet de notre blog ! 🙂
Un événement écrit noir sur blanc sur la grande affiche présentant le programme des festivités : la plantation d’un Arbre de la Mutualité après le banquet, à 3h00 de l’après-midi, suivi d’un discourt du vice-président de la société mutualiste et d’une Marseillaise jouée par la fanfare du village !
Une plantation célébrée en grande pompe, judicieusement orchestrée après le banquet et dont le rôle de la fanfare avait surement pour objectif de réveiller tous les convives qui espéraient faire une bonne sieste après le repas 🙂

En découvrant l’existence de cet Arbre de la Mutualité dans le livre de Gilbert Coffano, je me suis immédiatement rendu dans ce petit village pour partir à sa rencontre…
Mais l’excitation de la découverte s’est rapidement transformée en grande déception car après avoir tourné en rond plus d’une heure dans le village, il a fallu que je me rende à l’évidence et admette qu’il était fort probable que l’Arbre commémoratif de 1906 avait très probablement disparu…
En rentrant déçu à la maison, j’espérais encore pouvoir trouver quelques infos sur cet Arbre de la Mutualité en parcourant le web… mais en vain, aucune trace de son existence, à croire qu’il n’avait jamais existé.
En revanche, ces recherches m’ont permis de découvrir une nouvelle catégorie d’arbres que je ne connaissais pas, celle des Arbres de la Mutualité. Comme à Artas, des arbres ont été plantés lors des fêtes de village à l’occasion de la création des nouvelles sociétés mutualistes. Une tradition qui a eu beaucoup de succès au début 1900 et jusqu’à la 1ère guerre mondiale.
Le site du Musée de la mutualité nous apprend à ce sujet que le 1er arbre de la Mutualité a été planté à Montbrison dans la Loire en 1903.
 » Cette initiative se revendique d’une double tradition, celle des Arbres de Mai des corporations de l’Ancien Régime et celle des Arbres de la Liberté de 1789. Qu’elle soit corporative ou républicaine, la plantation publique et solennelle d’un arbre figure la confiance en l’avenir, et c’est bien dans ce sens que l’entendent les mutualistes. A côté de la poignée de main ou de la ruche qui évoquent les pratiques prévoyantes et solidaires de la société de base, l’arbre porte les fleurs et les fruits des espérances mutualistes. Son tronc et les ramifications de ses branches symbolisent toute la force unificatrice du mouvement et la richesse de sa diversité.« 

Mais combien d’Arbres de la mutualité sont encore présents dans nos villages ? Personnellement, je n’en connais aucun et il me semble que nos blogs arboricoles n’en ont jamais mentionnés dans leurs articles.

L’histoire de cet arbre, pourtant lié à un événement historique, semblait de toute évidence perdue à jamais… s’il n’y avait pas eu le travail titanesque réalisé par un historien local, passionné bien-sûr par l’origine de la Fête des mères. Pascal Chauvin est président de l’Association Mémoire et Patrimoine d’Artas et auteur de plusieurs ouvrages.
Originaire d’Artas, il n’a pas connu personnellement cet Arbre de la mutualité et il regrette qu’aucune photo n’ait été prise lors de la fête mutualiste de 1906. La seule représentation de cet arbre semble apparaître sur la carte postale ancienne présentée en début d’article… mais sous toutes réserves, puisque l’arbre aurait disparu peu de temps après sa plantation.
C’est lors d’un entretien avec Joseph Roche (fils de l’instituteur) que l’historien parvient à approfondir le sujet.
L’arbre planté était un Tilleul. Joseph, âgé de 10 ans à l’époque, avait en charge d’en prendre soin en l’arrosant régulièrement. Mais malgré tous ses efforts l’arbre planté dans la cour de l’école est mort rapidement et n’a pas été remplacé par la suite.
Il faut reconnaître que planter un tilleul au mois de juin et en plein milieu d’une cour d’école, n’est pas forcément un gage de réussite… même si la plantation est suivie d’une vibrante Marseillaise 😉

Voici l’extrait d’une correspondance entre Joseph Roche et Pascal Chauvin en 1984 : « … la plantation d’un jeune tilleul dans la cour [de l’école des garçons], afin de rappeler aux générations futures cette mémorable manifestation. Malheureusement, malgré les arrosages quotidiens dont j’avais personnellement la charge, ce jeune tilleul a péri lamentablement, j’ignore s’il a été remplacé. »

Fin de l’histoire de l’Arbre de la Mutualité…

Mais avant de clore définitivement cette page de l’histoire locale, il convient de signaler que ce n’était pas le premier arbre commémoratif à avoir été planté dans le village d’Artas.
Pascal Chauvin a retrouvé la trace également de la plantation d’un Arbre de la liberté (un peuplier d’Italie surmonté d’un bonnet phrygien) le 8 décembre 1792.
Puis d’un Arbre de l’Egalité et de l’indivisibilité de la République (!) le seize nivose An 2 (5 janvier 1794), pour célébrer la victoire de la Première armée de la République Française lors du siège de la ville de Toulon en 1793.
Ces deux plantations sont bien consignées dans des écrits officiels de l’époque sous forme d’archives révolutionnaires et repris plus tard dans une monographie.
Malheureusement, les deux arbres ne sont plus vivants de nos jours…
D’ailleurs, très peu de Peupliers de la liberté (âgés de 200 ans) sont encore vivants. On peut mentionner les deux exceptionnels peupliers drômois, dans un état de dégradation très avancée, à Poyols et Lus-la-Croix-Haute.
Mais l’aventure continue en revanche pour un beau platane planté à l’occasion de l’an 2000 et qui orne magnifiquement la place de l’église de ce petit village isérois !

Share Button

10 réflexions sur « L’Arbre de la Mutualité à Artas (Isère) – Pour mémoire – »

  1. Encore un article très documenté, pour une nouvelle catégorie d’arbres (les énigmatiques historiques 😉 ) !
    Jamais entendu parlé non plus d’arbres de la Mutualité dans mon recoin du Midi.
    Il me semble que pour un arbre qui aurait survécu bien peu de temps à sa plantation, celui de la carte postale est un peu grand non ?
    Ou alors c’est qu’ils en avaient planté un déjà de bonne taille, ce qui n’a pas dû l’aider dans sa « prise de racines »…
    ça me fait penser à celui de Castelnau-Valence planté (pourtant à la bonne saison) pour la commémoration du centenaire de la fin de la 1e guerre mondiale…. hi hi hi chuis vilaine !
    Et franchement le Artas mutualiste c’est mieux que le Vichy de Pétain pour être le berceau de la fête des mères 😉
    Merci Castor !

  2. Wouahou ! J’ai adoré cette histoire originale 🙂 tu es un vrai père castor.
    C’est dommage que tous ces arbres aient disparu de nos jours mais je dis bravo pour ces recherches approfondies.
    Comme Pat’, j’ai été surpis d’apprendre que c’est sous le Maréchal Pétain que la fête des mères s’est « officialisée » pour toutes les mamans.
    Merci pour cette découverte !

  3. Merci pour vos commentaires 🙂

    Vous vous êtes surement rendus compte que j’ai loupé l’actualité du moment en publiant cet article… en fait j’espérais le mettre en ligne le jour de la fête des mères mais j’ai mis un peu plus de temps que prévu pour boucler l’enquête sur cet Arbre de la Mutualité « fantôme ».
    Le sujet était même très confus au-début, j’ai eu dû mal à comprendre le lien qui existait entre cette fête de village, la société mutualiste, la fête des mères et la plantation de l’Arbre de la mutualité… tout s’est éclairé grâce au précieux travail de Pascal Chauvin, l’historien du village d’Artas.

    Je profite aussi de cet article pour lancer le sujet sur ces Arbres de la Mutualité qui semblent avoir été plantés assez fréquemment dans nos villages entre 1903 et 1914 et qui m’étaient totalement inconnus.
    Si vous en connaissez d’autres c’est l’occasion de les faire connaitre !
    Je ne sais pas d’ailleurs si celui de Montbrison (42) planté en 1903 est toujours vivant ?

  4. Je découvre aussi ces arbres. Beau travail de recherche !
    Un petit tour sur Delcampe, m’a permis découvrir quelques cpa évoquant ces arbres, il y a Paris (champ de Mars), Saint Nazaire, Montpellier, Vinneuf (89), Bourg en Bresse, Divonne les bains, Charnay les Mâcon, Gex, Granville.
    Avis au amateurs pour partir en prospection.

  5. Belles recherches Yannick sur ces Arbres de la mutualité 🙂 🙂 🙂 auxquelles on peut ajouter aussi ceux cités sur la page web du musée de la mutualité :

    « A l’occasion des congrès départementaux de 1905, des arbres ornés de drapeaux tricolores sont dressés à Saint-Rambert-en Bugey (Ain), à Granville et Donville (Manche) et dans la Drôme (où???), où le Chef de l’Etat lui-même, Emile Loubet, procède à la plantation, en qualité de président de la société de Montbéliard ».
    Et même un orme mutualiste en 1905 dans le square du Champ de Mars à Paris.
    Et un autre en 1913 en Guadeloupe (pas plus de précision sur sa localisation et sur l’espèce probablement exotique)
    « cette coutume devient moins fréquente après la Première Guerre mondiale… » en 1933 à Lapalisse dans l’Allier accompagné d’un poème gravé au pied

    En tout cas la tendance qui se dégage d’après ces quelques recherches semble que ce soit plutôt des tilleuls et que cette coutume ait été pratiquée sur tout notre territoire.

    Bon il n’y a plus qu’à partir à leur rencontre ! Ils nous avaient surement échappé jusqu’à présent à cause de leurs dimensions encore modestes. Des tilleuls centenaire doivent atteindre les 2,50 – 3m maxi de circonférence. On voit bien que nos inventaires des arbres remarquables se limitent encore trop souvent au seul critère du tour de taille, c’est dommage… Tous les arbres commémoratifs ont aussi leur place dans nos inventaires 🙂

  6. Salut à tous !

    Intéressant, en effet tu viens d’ouvrir une nouvelle catégorie.
    L’historique des arbres nous fait encore souvent défaut et même avec les sujets du siècle dernier on ne peut pas toujours correctement se documenter.

    ça me rappelle un fruitier de la paix que nous avons planté il y a une trentaine d’années avec la paroisse et malheureusement, lui avait bien pris mais a disparu avec l’extension d’un parking..

Répondre à Yannick M. Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.