L’Aiguille est un piton rocheux à l’entrée des gorges de l’Ardèche réputé pour sa vaste grotte. Elle sert d’abri à toute une faune cavernicole et peut aussi servir éventuellement de bivouac aux randonneurs qui s’aventurent dans ces terres sauvages.
Mais ce n’est pas tout… Cette falaise offre également un biotope très particulier. Il faut prendre un peu de recul et avoir un œil avisé et curieux pour y découvrir un très bel exemple de « sylve verticale ».
Une notion qui fait référence à un excellent article de Sisley paru en 2011 sur le blog du Krapo arboricole et synthétisant une étude très sérieuse de JP Mandin sur ces biotopes extrêmes de l’Ardèche.
Ce terme très poétique de « sylve verticale », ou « forêt falaise », définit toutes les végétations ligneuses accrochées à des parois rocheuses. Des arbustes qui prennent l’allure de bonsaïs naturels et jouent les équilibristes dans des situations improbables.
C’est un milieu souvent inaccessible, permettant à la nature une évolution naturelle à l’abri de tout type d’agression : interventions humaines, prédations par les grands herbivores, incendies, tempêtes…
Les buissons ligneux qui parviennent à s’accrocher à la paroi ont ainsi la possibilité de vivre très longtemps… jusqu’à leur chute finale au pied des falaises !
Ces biotopes sont une aubaine pour les naturalistes, ils représentent les derniers espaces vierges dans nos pays européens.
Dans les massifs calcaires du sud de la France, une espèce s’en est fait une spécialité : le genévrier de Phénicie défie le temps en survivant sur ces rochers depuis des millénaires. D’après l’étude menée dans les gorges de l’Ardèche par JP Mandin, certains sont âgés de près de 1500 ans et il est fort probable que d’autres soient encore plus vieux (2500 ans…). Dans ces conditions préservées, ces bonsaïs seraient même les doyens de nos arbres européens.
Plusieurs falaises ardéchoises ont été prospectées dans le cadre de cette étude, mais les Gorges de l’Ardèche représentent un espace presque infini tant les conditions d’accès sont difficiles dans cet environnement.
Le cas de l’Aiguille est intéressant car il permet d’observer d’assez près un bel exemple de sylve verticale sans avoir recours à des techniques d’escalade pour s’en approcher.
Juste au-dessus de la grotte, à une quinzaine de mètres de hauteur, on peut déjà distinguer quelques genévriers de Phénicie remarquables. Les troncs torsadés et polis par le temps accentuent son côté vénérable. Il est bien-sûr impossible d’estimer à la vue l’âge de ces végétaux tant leur vitesse de croissance dépend des ressources qu’ils auront pu trouver dans les fissures de la roche. Dans les situations extrêmes, on peut dénombrer jusqu’à 10 cernes par millimètre sur la section du tronc d’un genévrier… il est même possible que certaines années de sécheresse, il n’y ait aucun cerne d’accroissement !
En prenant plus de recul, le sommet de l’aiguille est aussi très intéressant à observer. Un buisson plus dense s’est installé et semble profiter de meilleures conditions de croissance. En revanche, son état de santé parait assez fragile… mais le genévrier a la peau dure et il serait bien cavalier de se lancer dans un diagnostic sanitaire à une telle distance.
On aperçoit à mi-pente l’un d’entre eux dans une position très spectaculaire. Il est accroché dans la zone la plus verticale de la falaise, ce qui l’oblige à se développer à l’horizontal au-dessus du vide.
Le pied de la falaise mériterait d’être parcouru minutieusement pour y dénicher de vieilles souches tombées au sol et tenter de faire une estimation de comptage de cernes sur des sections de troncs. Mais la progression n’est pas facile près de la falaise et elle présente un réel danger de chutes de pierres.
Ce « spot » à genévriers de Phénicie semble à l’abri de toute source d’agression potentielle. Le côté inaccessible de cette falaise est une véritable bénédiction et un gage de préservation pour l’avenir. Je n’ai distingué aucune voie d’escalade ouverte sur ce piton rocheux. Le rocher est bien « pourri », très instable et devrait vite dégouter les grimpeurs potentiels. Ils se rabattront raisonnablement vers d’autres spots plus intéressants dans les Gorges.
Seules les hirondelles des falaises prennent le risque d’aller à la rencontre de ces végétaux acrobates, comme le montre la photo ci-dessous :
Pour changer d’horizon :
en dehors des Gorges de l’Ardèche, d’autres genévriers de Phénicie ont été présentés sur nos blogs arboricoles.
L’un d’entre eux est célèbre dans les Gorges du Verdon, il avait fait l’objet d’un article sur le krapo en 2011.
Plus récemment, ma petite sœur « Castorette des Iles », nous avait fait partager ses découvertes avec deux genévriers de Phénicie vénérables accrochés sur les pentes rocheuses de la Ste Victoire.
Joli spot!
Ce qui est fascinant et déroutant, c’est de se dire que ce sont presque les seuls endroits en Europe à être vierge, une bénédiction ce relief.
Bravo Castor pour cet article sur ces magnifiques genévriers.
Merci les Têtards pour l’intérêt porté à ces bonsaïs naturels !
Je crois que dans le sud, on ne va pas manquer de nouvelles zones de prospection. Des rochers calcaires peu accessibles, on en a sur des étendues infinies… ça laisse rêveur sur le potentiel encore à découvrir 🙂 🙂 🙂
Je me rappel aussi de pins sur des pitons dans les gorges de l’Aveyron, mais la aussi la prospection est périlleuse, il faudra trouver un têtalpiniste…
Bel article !
Toujours un sujet fascinant que ses ligneux de conditions extrêmes.
C’est bien d’avoir des photos de ce type car cette espèce reste de par sa situation tout de même assez oubliée.