Des Cyprès du Tassili en Languedoc pourraient sauver l’espèce

Dans ce nouvel article, Berlingo34 nous présente une espèce rare de Cyprès, originaire du désert algérien. Un arbre aujourd’hui menacé d’extinction alors qu’il est parvenu à développer des stratégies de survie incroyables pour prospérer dans un environnement extrême.
Les récoltes de graines sont particulièrement compliquées à réaliser, l’espèce est tout aussi rare hors de sa terre natale, mais nous avons la chance d’avoir quelques beaux exemplaires en Languedoc. Des cyprès languedociens issus des peuplements d’origine et qui produisent à nouveau des graines… pleines d’espoir pour assurer la survie de l’espèce.
Zoom sur une espèce méconnue : Cupressus dupreziana, le Cyprès de Duprez également nommé Cyprès du Tassili ou Cyprès des n’Ajjer Tarout (Arbre de la soif) en langue touareg.

HISTOIRE ET DECOUVERTE

Dans le sud-est de l’Algérie, au cœur du désert du Sahara, dans la région du Hoggar, se trouve le vaste plateau du Tassili n’Ajjer. Là, au sein de ce paysage minéral, se dresse majestueusement une espèce végétale solitaire unique au monde et très rare le Cupressus dupreziana.
Il existait déjà depuis l’Holocène il y a environ 10000 ans. Quézel (1978) fait état de pollen fossile dans la partie nord du Tchad ainsi que dans des régions du Sahara Libyen.
Ce cyprès subsiste encore dans ce désert où jadis la forêt abritait une civilisation où la pierre se veut servante des peintures laissées par la préhistoire.
Ces gravures rupestres illustrent la beauté d’un Sahara verdoyant, tel qu’il existait il y a des milliers d’années. Les représentations évoquent ardemment la vie pastorale d’autrefois et témoignent des changements climatiques survenus au fil du temps.
En 1925, la région du Tassili a été explorée par le lieutenant Maurice Duprez, un officier français qui a fait la découverte des quelques spécimens restants du cyprès.
Ce dernier a ensuite été officiellement identifié en 1926 par le botaniste français René Charles Joseph Ernest Maire grâce à la constitution de son herbier historique d’Afrique du Nord.
En 2001, les inventaires indiquaient une population restante d’environ 231 Cupressus dupreziana dans son habitat naturel. Ils sont les dernières traces subsistantes d’une distribution qui était autrefois plus répandue.

HABITAT, DESCRIPTION ET UTILISATION TRADITIONNELLE

Cupressus dupreziana est une espèce de conifère endémique du sud de l’Algérie.
Son nom « Cyprès » trouve son origine dans le grec « Kupros, » faisant référence à l’île de Chypre où ces arbres sont abondants.
Appartenant à la famille des Cupressacées, le Cupressus dupreziana A. Camus peut atteindre une hauteur de 22 m ainsi qu’une circonférence de 12 m.
Certains individus sont connus pour vivre exceptionnellement longtemps, avec l’âge du spécimen le plus ancien vivant estimé à 2400 ans.
En altitude, là où est distribué, le climat est rude et froid, bien plus favorable a sa croissance que dans la plaine extrêmement aride de Djanet. Il existe deux aires connues, au sud-est du plateau du Tassili n’Ajjer, entre 1400-1800 m d’altitude, Oued Ahloun et oued Tamghit et dans le Hoggar sur la piste Tazrout-Ti’n Tarabine.

Dans son ensemble, sa silhouette élancée dite columnaire s’étire vers le haut, rappelant la flamme d’une bougie tendue vers les cieux. Cette apparence suggère l’idée d’élévation et symbolise l’aspiration de l’âme vers le divin.
Il a une capacité à survivre dans des conditions extrêmes de froid et de sécheresse : 30 mm de pluie/an, parfois plusieurs années sans aucune goutte d’eau. On le retrouve dans les lits des rivières asséchées. C’est un exploit qu’il doit à ses profondes racines. Telles des veines anciennes, elles puisent l’eau si loin en profondeur, que la vie de cet arbre est un hymne à la sagesse des terres arides.
L’écorce se détachant en plaque rainurée gris-brune et raconte en détail une histoire de survie. Les crevasses plus sombres, laissent apparaître quelques gouttes résineuses rappelant les rides de l’effort et la sueur de l’endurance.
Les branches, initialement horizontales, se courbent et s’étire en direction du ciel, évoquant la forme d’un candélabre.
Ses feuilles en écaille, condense les perles scintillantes du brouillard et de la rosée du désert, déposées comme des larmes de vie par la caresse du matin.
Son feuillage arbore une teinte verte bleuté dû aux anthocyanines qui lui offre une gamme de bénéfice : contre le stress hydrique, le rayonnement UV et l’appétence des animaux.
Chaque feuille est marquée par une tache blanche de résine. Les rameaux sont courts et plats, alignés dans un seul plan.
En janvier, les cimes des branches s’habillent de sacs de pollen, plus imposants que ceux des autres cyprès.
Patiemment, le pollen très abondant attend pour être emportés par une brise de vent sur les fleurs femelles violettes de forme ovale situées sur les rameaux terminaux.
Les cônes ou strobiles de forme ronde, mesurent entre 1,5 à 2,5 cm de long et atteignent leur maturité sur une période de deux ans.
Une fois mûr, il tombe à terre, libérant ses graines en roulant avec le vent, évoquant la roue qui s’éveille d’un berceau, né de la rondeur de la nature.
Les graines marron foncé (150 par gramme) sont légèrement ailées et leur germination est un processus aléatoire en raison d’une faible faculté germinative d’environ 5%.
Sa croissance très lente et sa longévité extraordinaire se traduit par la formation de cernes annuels très fins parfois inexistant d’environ 0,07 à 0,3 millimètre dans son habitat naturel.
Son bois riche en huiles essentielles (Cédrène, élémène) a été utilisé autrefois dans les oasis de Djanet et de Ghât pour la menuiserie, l’ébénisterie et la construction de meubles tels que des poutres, des portes, des coffres et des armoires en raison de ses propriétés insectifuges et odorantes.
Il est également connu pour avoir été utilisé dans la construction des sarcophages égyptiens anciens et est associé à des légendes liées à la construction de l’Arche de Noé.

UN MODE DE REPRODUCTION UNIQUE AU MONDE

Ses 2 proches parents, le Cupressus atlantica (Cyprès Marocain) et le Cupressus sempervirens (Cyprès toujours vert) se reproduisent par fécondation croisée (allogamie) comme toutes les espèces de cette famille.
Cupressus dupreziana est une espèce unique parmi les Gymnospermes. Il se distingue par sa capacité à se reproduire sans fécondation, uniquement à partir du pollen mâle sans que celui-ci n’ait besoin de pénétrer dans l’ovule femelle.
La partie femelle est utilisée uniquement comme support pour nourrir la graine. L’individu qui porte les cônes s’appelle « Mère porteuse ».
Il y a doublement du gamète male qui conduit à la formation d’un embryon diploïde viable. Cette future graine contient les deux ensembles complets de chromosomes par un processus appelé apomixie.
Ce phénomène, appelé apomixie mâle (C. Pichot INRA, 2001), constitue une forme de reproduction asexuée similaire à la parthénogenèse où la fécondation est absente.
Cette stratégie reproductive suggère une adaptation évolutive ingénieuse à un environnement où la rareté des individus rend difficile la fécondation croisée. L’espèce évite les inconvénients de l’hybridation consanguine, en préservant ainsi sa stabilité génétique et son adaptabilité. (Comparable à un Clonage par graine).
Il incarne une merveille de l’ingéniosité botanique à travers son processus de reproduction.
Cette régénération par la matière, et non par la fécondation, alimente la  métaphore associée au mythe de l’Ouroboros (Serpent qui se mord la queue). C’est le symbole de régénération continue qui engendre une nouvelle génération sans changement significatif. Une forme d’immortalité biologique et de perpétuel retour.

ENJEUX, INTRODUCTION FRANÇAISE ET PERSPECTIVES

Depuis les années 1980, la région méditerranéenne bénéficie des efforts de reboisement des instituts de recherche (INRA, AFOCEL) pour reconstituer, préserver et étendre un réseau de plantations expérimentales.
Ces plantations comparatives ont abouti après 25 ans de recherche à identifier et confirmer Cupressus dupreziana comme accrocheur et résilient dans toutes les stations intéressantes très arides. (Calcaire et acide).
Sa capacité à prospérer dans des conditions difficiles le rend particulièrement adapte à la restauration des terrains incultes. Croissance très lente et peu de besoins.
Une caractéristique précieuse dans les efforts de reforestation et de création d’écosystèmes résilients.
Ce n’est pas tant dans une sylviculture intensive que le cyprès trouve sa vocation, mais plutôt dans la revitalisation de milieux écologiquement dégradés, spécialement dans les régions méditerranéennes.
Des milliers d’arbres ont été plantés en 45 ans dans tout le sud de la France, contribuant ainsi à la plus grande sauvegarde de l’espèce.
L’intégration du Cupressus dupreziana dans les forêts françaises méditerranéennes représente une stratégie prometteuse pour développer des écosystèmes résistants et adaptés aux changements environnementaux futurs.
Leur croissance très lente est d’environ 70 à 100 cm de circonférence et 8 à 11 m de haut pour 40 ans aussi bien sur terrain calcaire qu’acide.

10 LIEUX POUR DECOUVRIR CUPRESSUS DUPREZIANA

En France, on peut découvrir cette espèce rare dans une dizaine de jardins botaniques publics : Paris, Toulouse, Montpellier, Nice, Parc de la tête d’or et le jardin mexicain à Lyon, Versailles-Chèvre loup, Arboretums des Barre, le jardin botanique des montagnes noires dans le Finistère ou à la villa Thuret à Antibes.

Le jardin botanique de Montpellier
Créer en 1593 par Henri IV, ce jardin botanique classé « jardin remarquable » possède 8 Cupressus dupreziana plantés en 1960 (35 ans après sa découverte).
Les conditions de vie très avantageuses expliquent la croissance gigantesque de cet individu :  241 cm de circonférence (76 cm de diamètre) à 1,3m du sol et 24,6 m de haut (Vertex) pour 63 ans le 1/02/2024.
(Note du Castor masqué, fidèle ami de Berlingo34 : ma mesure en 2017 était de 218cm de circonférence et 24m de hauteur. On s’aperçoit que sa hauteur ne progresse plus vraiment, il a atteint sa limite, par contre sa circonférence connait un accroissement spectaculaire de 3,3cm/an !).
Il est fort possible qu’il soit le plus gros de France ou du monde Occidental ? Au même âge dans son aire naturelle, il ne serait pas plus gros qu’un piquet de vigne.

Les 7 autres moins vigoureux font environ 180 cm de moyenne en circonférence pour 18 à 20 m de haut.
Résistance au froid : Les relevés de températures de la station météo de Montpellier-Fréjorgues (Hérault) montrent qu’ils ont dû faire face à des hivers très froids. Les données indiquent des températures minimales remarquables, telles que -17,8 °C le 5 février 1963, -11 °C en 1967, -11 °C le 15 janvier 1985, et -10 °C en 2010.

STATUT DE CONSERVATION

Cupressus dupreziana est protéger et en danger critique d’extinction depuis 1984, répertorié en douzième position dans la Liste rouge de l’UICN.
Cette liste établie en 1963, constitue une référence fondamentale dans le domaine de la biodiversité. Elle est un outil d’évaluation global de l’état de conservation des espèces mondiales.
Pour une préservation radicale, l’intégration de la recherche scientifique permettrait de comprendre en détail les causes et les mécanismes du déclin de cette espèce ou des écosystèmes, souvent liés à l’impact significatif des activités humaines.

LES CUPRESSACEES : ADAPTATION ET INGÉNIOSITÉ

Dans le monde végétal, les plus gros producteurs de matière sont représentés par la famille des Cupressacées qui possède 30 genres (cyprès,séquoias, ifs, cyprès chauves, genévriers…), réparties en 140 espèces. Chacune a développé l’hymne à l’ingéniosité avec une longévité exceptionnelle dans des habitats très différents :

  • Massif en hauteur et largeur, froid, sécheresse, sel, feu, apomixie mâle, pneumatophore, vieillesse éternelle … Toutes les adaptations sont représentées dans tous les milieux.

Dans de nombreuses cultures, les Cupressacées entretiennent une relation riche et complexe avec l’humanité. Ils sont considérés comme le symbole de vie éternelle, de deuil, de renaissance et d’inspiration.

 


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6 réflexions sur « Des Cyprès du Tassili en Languedoc pourraient sauver l’espèce »

  1. Magnifique article … Savoir et poésie haussent l’esprit, le reposent, l’enivrent juste assez pour chasser les idées grises comme des fantômes

  2. Belle présentation d’une espèce singulière dont on parle très peu !
    Le passage français est aussi intéressant, car avec ces essais prometteurs on gagnerait à l’introduire dans des milieux difficiles où d’autres espèces reculent.

  3. Régina12 a déjà tout dit sur les qualités de cet article que j’ai eu moi aussi beaucoup de plaisir à lire. Je pense que Thierry pourra utilement le compléter en parlant plus en détail des plantations de l’AFOCEL et des nombreux spécimens qui ont prospéré dans de plusieurs jardins privés du sud de la France (dont le Gard). Merci Berlingo34.
    Yves

  4. Merci pour vos sympathiques retours, je suis très touché.
    Dans les reboisements, cette espèce, bien qu’elle soit discrète et peu courante, est facilement confondue avec d’autres espèces similaires. Ce qui la protège de la curiosité.
    Cultiver le cyprès du Tassili demande beaucoup de patience, car sa germination est en soi un véritable exploit, un cadeau de la nature.
    Dans les étendues sauvages du Tassili, on peut seulement imaginer le nombre de graines qui ne parviennent pas à germer et le temps considérable nécessaire avant que les conditions parfaites soient réunies pour que la croissance d’un jeune arbre puisse arriver.
    On peut le cultiver en bonsaï, son rythme très lent en croissance offre amplement le temps nécessaire pour planifier le rempotage !

  5. Je ne peux qu’abonder dans le même sens que les commentateurs précédents.
    Poésie et connaissance font bon ménage au pied de ces cyprès.
    Merci messieurs pour la balade continue en Afrique du Nord…;-)

  6. Bonjours à tous,
    Plus de photos dans leur aire d’origine en lançant cette recherche sur Google Map:
    Tassili cypress valley Djanet, Algérie
    Et sur Earth dans la même zone.

    Merci Castor pour cet article riche et détaillé.

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